***** "L'angoisse du héron" - 2003 (suivi de "L'angoisse du
lecteur" par Alberto Manguel, 2009), Ed. Escampette, 65 p.
Sacré défi… ce petit livre de 65
pages : 57 pages pour "L’angoisse du héron" de Gaétan Soucy et 7 pages pour "L’angoisse du lecteur", la postface d’Alberto Manguel.
Au commencement, j’ai découvert
une sorte de fable de La Fontaine mettant en scène un Héron et un Cabotin se
défiant dans une chorégraphie dont j’ai beaucoup apprécié la description. Je
croyais que l’histoire était lancée et que j’allais poursuivre avec ce livre les
aventures sédentaires de ces deux olibrius dans leur asile de fous, décrites
par le narrateur, en visite dans cet asile. Cela me plaisait bien.
"Et son pied de se soulever davantage, lentement, tremblotant, jusqu’à ce que la cheville atteigne à la hauteur du genou gauche. Alors, avec une extraordinaire dignité, il redressa les épaules, le buste, le front. Il était droit comme un cierge. Ses bras longeaient ses flancs avec une irréprochable rigidité de garde-à-vous. L’Acteur était devenu le Héron." (p.20)
"Le Héron commençait à vaciller sur sa patte. A mesure que l’ankylose gagnait le mollet, que les muscles manquaient de je ne sais quoi, que le sang congestionnait, les traits de ce dernier exprimaient une angoisse qui n’a pas de nom et qui est la catatonie même : l’angoisse corrosive, absolue, de devoir se maintenir dans une posture impossible, sous peine de provoquer un cataclysme qui fera voler le monde en éclats. " (p.22)
"Le Cabotin était occupé à se rendre jusqu’au mur." (p.24) : ce vieux monsieur ne fait que des allers retours entre la chaise et le mur.
Mais que nenni.
En passant au
chapitre suivant, le récit nous transporte 13 ans plus tôt, quand le narrateur,
Gaétan, se prépare pour l’enterrement de son ami Coco, un total loser, qui n’a jamais rien réussi, ou qui a toujours tout raté comme nous l’apprend Gaétan
(de façon surprenante et peu gratifiante, ai-je trouvé, pour parler d’un ami et
qui plus est d’un ami mort). La phrase-clé vint plus tard : "Coco
avait passé sa vie occupé à se rendre jusqu’au mur." (p.43)
D’ailleurs, les quelques amis de
Coco ou sa famille ne veulent pas se partager ses quelques dessins ou peintures
affreuses.
Dans ce chapitre, deux
bizarreries dans le récit m’ont frappée. L’une porte sur cette phrase, très
énigmatique : "Nous faisons ensemble la queue à une quincaillerie ;
je lui demande ce qu’il dissimule sous son veston ; et il porte une
cravate bleue." (p.30) je me suis crue plongée dans quelque œuvre surréaliste…
on dirait du Dali.
L’autre concerne « son
navrant dégât » que Coco a nettoyé chez Gaétan : j’ai eu beau relire
le texte, pas trouvé d’explication à ce dégât… mystère.
Ensuite, brusquement, je n’ai
plus rien compris au récit.
Voici que dans le carnet à dessins de Coco, Gaétan
découvre le texte sur le Héron, soit ce que nous avons lu en premier chapitre ( !).
Puis il y a l’histoire du voyage en bus et de la petite fille sans bras… Et
soudain on découvre que le narrateur s’adresse à une Mademoiselle qui est la
fille de feu Coco.
Personnellement, pardonnez-moi l’expression
triviale, mais bien que le récit ne s’étale que sur 60 pages, j’étais complètement
larguée dans l’histoire. J’ai dû relire deux fois le livre pour y voir plus
clair, et mieux apprécier l’enchaînement. Et encore, cela reste brumeux… Ah, quelle entourloupe nous a fait l'auteur autour de son "Je faussement narratif" (p.64).
D’où la parfaite transition avec
la postface d’Alberto Manguel, dont je réalise à présent la justesse du titre :
« L’angoisse du lecteur » ! "Et même après que les rôles
ont été assignés, les papiers mis en ordre, le récit mis en place, même alors l’incertitude
subsiste. Une occurrence minuscule, une révélation infinitésimale avertit
auteur et lecteur qu’il leur faut se méfier de l’illusion de comprendre." (pp.
62-63)
"En littérature, les choses ne sont pas racontées parce qu'elles se produisent ; elles se produisent parce qu'elles sont racontées." (p.61)
Y-a-t-il une morale dans la fable L’angoisse
du Héron ?
La toute fin du récit ne se prête
pas à l’optimisme… : « On n’a pas toujours ce qu’on souhaite. »
(…) Car, l’enfer doit ressembler à ceci, Mademoiselle, qu’au début, tous nos
désirs semblent soudain se réaliser. Le Diable peut vaquer tranquillement à
autre chose. Il n’a qu’à les laisser suivre leur cours. » (p.57 :
dernière phrase du récit)
Finalement, un petit livre
intéressant (je m’en souviendrai !) mais pas facile à appréhender. Je l'imagine parfaitement comme thème d'étude en littérature ou philo ; mais comme lecture divertissante, passer son chemin...
Un mot
à connaître : catatonique !
L’écriture de Gaétan Soucy est belle. J’avais
déjà bien apprécié cet auteur avec son roman (hallucinant) "La petite fille qui aimait trop les allumettes" (1998).
J’ai appris avec tristesse qu’il était décédé d’une crise cardiaque en juillet 2013, à 55 ans. Difficile de ne pas penser à ses propos ironiques sur l’ami Coco décédé dans son livre…
J’ai appris avec tristesse qu’il était décédé d’une crise cardiaque en juillet 2013, à 55 ans. Difficile de ne pas penser à ses propos ironiques sur l’ami Coco décédé dans son livre…
--> voir mes "Lectures d'Amérique du Nord" ou les pages spécifiques "Québec"
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