mardi 29 septembre 2015

Tatamkhulu Afrika : "Paradis amer"

***** "Bitter Eden" – 2002 (Ed fr. Presses de la Cité, Trad. G-M. Sarotte, 295 p.)
Réf. Géogr. : Afrique du sud (auteur) / Egypte / Italie /Allemagne
"Je touche la cicatrice sur ma joue et elle frémit, comme si le tissu mort depuis longtemps, tel Lazare, ressuscitait."

Un roman autobiographique d’une grande beauté, à l’écriture toute en retenue et d’une infinie douceur même dans les moments les plus durs. 
Trois prisonniers du Commonwealth, Tom, sud-africain, Danny, anglais, et Douglas. Parqués dans un camp italien, puis transférés en Allemagne.
Un trio où l’amitié le dispute à la jalousie. Où la vie au jour le jour doit s’organiser au nom de la survie et du maintien d’un semblant de dignité, un mot qui détonne dans le contexte d’hommes parqués comme des bêtes et souvent condamnés à laisser leurs instincts animaux les submerger.
Des hommes rongés par la maladie, la faim, le désespoir, la promiscuité. Certains qui pourtant voient dans cette promiscuité une bouffée d’air, un fil ténu qui les rattache à l’espoir.

L’auteur, Tatamkhulu Afrika construit sur cette terrible toile de fond la naissance d’une amitié d’abord refoulée entre Tom et Douglas, toujours équivoque aux yeux de Tom mais ressentie comme maternelle pour Douglas. Ces deux-là s’entraident depuis leur premier jour de camp, un peu à hue et à dia, mais toujours fidèlement.
Quand survient un troisième homme, Danny, prisonnier d’un autre baraquement, culturiste sans complexes et qui n’a pas sa langue dans sa poche. Tom se trouve quasi-aimanté par Danny, aux dépens de Douglas qu’il délaisse subitement.
Il n’est pas question d’homosexualité débridée, mais de regards qui s’accrochent, étonnés, de frôlements de corps endormis et gêne au réveil. D’interrogations. Le lecteur assiste tout doucement aux premiers émois de Tom et Danny, incertains, hasardeux, improbables à leurs yeux mêmes.
Soudain la guerre est finie, les rapatriements se préparent, et de probables déchirements.

Un roman vraiment superbe, qui reste en soi une fois la lecture achevée.
"Quelle que soit la version du jeu, c’est à ce moment-là que nous souillons à nouveau le lac limpide de nos gènes humains, que le sable sous nos godillots montre ses milliers de dents de sel amer. Je pense alors qu’il aurait mieux valu qu’ils nous aient fusillés là-bas et enterrés, ou qu’ils nous aient laissé pourrir tant que nous possédions encore les derniers lambeaux d’une dignité que nous n’avons jamais méritée." (p. 47)
"Puis les sourires s’effacent comme nous succombons à l’angoisse que nous avons tout ce temps refoulée, à savoir que libération rime avec séparation et que dans quelques jours, ce matin même, peut-être, nous risquons d’être envoyés en avion ou en bateau chacun vers son lieu d’origine, séparés par d’immenses océans. Voilà donc la fin du paradis amer, je pense." (p.154)
Qui est cet auteur, Tatamkhulu Afrika ?
L'éditeur nous précise qu'il est né Mogamed Fu'ad Nasif en Egypte en 1920 d'un père égyptien et d'une mère turque. A leur installation en Afrique du sud alors qu'il est enfant, ses deux parents meurent de la grippe. Pendant la seconde guerre mondiale, il combat en Afrique du Nord et est fait prisonnier à Tobrouk, et transféré dans des camps en Italie puis Allemagne. En 1964 il se convertit à l'islam puis s'engage dans la lutte contre l'apartheid. arrêté en 1987 et "banni" c'est à dire condamné à ne pas s'exprimer en public ou publier des écrits... 
Son roman "Paradis amer" est publié en 2002 en Angleterre, deux semaines avant son décès à 82 ans.

--> voir "Lectures d'Afrique"...

mardi 22 septembre 2015

David Carkeet : "Le linguiste était presque parfait"

***** "Double Negative", 1980
(Ed. française Monsieur Toussaint Louverture, Trad. N. Richard, 288 p.)

"Mais vous faites quoi au juste avec ces bébés ?"
J'ai hésité à attribuer trois ou quatre étoiles à ce roman insolite... Le contexte m'a bien plu (un institut d'études du langage spécialisé dans l'analyse des premiers babils des tout-petits, qui s'avère en fait une crèche reconvertie accueillant à bas prix les bébés cobayes de la recherche linguistique - mais rassurez-vous, on ne leur fait rien de mal !). 
"J'étudie ce que j'appelle les idiophénomènes". Ce sont les dispositifs linguistiques que les enfants développent d'eux-mêmes, sans s'inspirer du monde adulte. Il peut s'agir de simples énoncés aux significations invariables, comme le "beu" d'un tout-petit pour dire "Je veux ce petit canard", jusqu'à des modulations bien plus personnelles, qui n'appartiennent qu'à l'enfant qui les énonce." (p.12)
L'histoire en revanche, qui se voulait "la jouer" intrigue policière, fait un peu flop surtout vers la fin où là on se dit que l'auteur a carrément oublié de finir son roman... (Mince alors, qui a tué Philpot au final hein ?)
Les personnages sont plus ou moins intéressants : 6 linguistes, les assistantes et auxiliaires, le policier façon Hercule Poirot. Deux meurtres : un linguiste retrouvé mort dans le bureau d'un collègue linguiste, Jeremy Cook, et un journaliste noyé avec au cou la machine à écrire de ce dernier.
Si ce linguiste Jeremy Cook, séduisant, célibataire, mais aussi gauche et farfelu (obnubilé par une rumeur le traitant de "parfait trou du cul"), est plutôt sympathique, mon chouchou fut quand même Wally, le bébé de 16 mois dont les "m'boui" font l'objet d'analyses poussées dans l'institut.
"- Il lui demanda si elle avait observé certains des enfants parmi ceux qu'il étudiait.
- Wally Woeps, c'est tout. 
- Il a refait des "m'boui" ?
- Non. Uniquement quelques "pffff" et "n'deuh".Je pense que vous avez raison à propos de la distinction." (p.39)
C'est une lecture facile et le trait est souvent loufoque
Le roman vaut le détour, c'est certain, même sans l'élever au rang de chef d'oeuvre. 
Il y aurait deux autres opus avec le même Jeremy Cook : je ne les ai pas encore lus, mais, bien que Jeremy vit et travaille dans l'Indiana aux EU, je l'aurais si bien imaginé à l'époque en couple avec... Bridget Jones !!! voui ! 
Sauf que, je confesse avoir lu dévoré le dernier Bridget "Mad about the boy" et que ma Bridget elle semble quand même tombée à 51 ans sur another right guy (voui puisque Dearest "Colin First" est décédé).
A noter qu'il s'agissait du 1er roman de cet auteur américain, publié aux EU il n'y a que... 35 ans ! Dear God, 35 ans de nos jours pour atteindre le public francophone : un grand merci à l'éditeur tout de même !
"- Bonjour Jeremy. Alors des potins ?
- Pas aujourd'hui, Ed. Mais je crois avoir saisi le "m'boui" de Wally.(...) - J'ai passé en revue toutes les occurrences que j'ai, mais il va m'en falloir davantage pour vérifier. On dirait que c'est un commentaire sur des objets en mouvement, comme pour dire "quelque chose se déplace" ou "il y a du mouvement". Toutes mes notes indiquent qu'il regarde des gens ou des animaux qui bougent ou des poissons qui nagent...- Ou de l'eau qui coule dans la baignoire.
- Oui. Justement je voulais te poser la question. A-t-il dit ça à propos de toi ou à propos de l'eau ?
- Il montrait l'eau.- Ah bon, tu ne me l'avais pas dit.
- J'ai oublié. C'est facile d'oublier ces choses-là. Il l'a dit deux fois aujourd'hui, Jeremy.
- Bien, dit Cook, tout sourire en entendant Woeps parler des m'boui, comme s'il s'agissait de cadeaux. Je suis content d'entendre qu'il continue. A quelle occasion les a-t-il prononcés ? 
- Il y en a eu un adressé à la chatte du voisin quand elle elle est passée en courant, et l'autre en voyant un Indien à la télé. Je crois qu'à ce moment-là, il était sur un cheval.- Bien. As-tu noté les intonations ?- Absolument pas.
- Dis-moi si tu y comprends quelque chose : j'ai des intonations très distinctement montantes dans ses remarques sur les quatre personnes à propos de qui il l'a dit, toi, moi, et deux auxiliaires, Sarah et Sally, ainsi que sur le poisson et un jouet qui se remonte et qui roule. Mais l'intonation est tombante avec les écureuils et les oiseaux. Il en a sorti quatre quand j'étais dehors avec lui un matin de la semaine dernière. Tous tombants, Deux oiseaux, deux écureuils.- On ne peut pas dire qu'il y ait de grandes similarités physiques, hein ? fit Woeps. 
- Non. C'est peut-être parce que ce qui importait était que nous étions dehors. Le "m'boui" avec une intonation tombante signifie peut-être "le déplacement se passe en extérieur". Mais ce serait tout de même bizarre. 
- Wally n'aime pas vraiment les oiseaux et les écureuils. Cook fronça les sourcils.- Ah ?Oui je ne sais pas trop pourquoi, mais il en a peur.- Et il nous aime bien, toi, moi, les deux auxiliaires et le poisson...- Oui, pour ce que j'en sais.
- Fichtre, fit Cook, se sentant presqu'estomaqué. C'est une indication sur ses préférences personnelles.- Tu viens de piquer ma curiosité. Je vais le surveiller avec attention.- Ed, j'ai hâte de l'étudier. Pourrais-je l'avoir quelques heures ce soir ?" (p. 155-157)
--> Chronique "polars" et "enfants" (m'boui !)...

mardi 8 septembre 2015

Michel Bussi : "Mourir sur Seine"

***** 2008
Bon, quitte à me répéter, je reconnais que j'avais du mal à lâcher ce livre, mais pourtant l'histoire m'a paru bancale et peu crédible, et j'ai eu vite ma dose de références aux pirates et la grande piraterie.
Le plus quand même : ce sont les descriptions de Rouen et de ses environs comme si l'on y était. 
En revanche, je ne peux pas dire que le roman m'ait donné le goût d'aller assister à l'une des armadas. Pas trop mon truc.
Je mets trois étoiles à "Mourir sur Seine", le sixième roman que je lis de Michel Bussi, mais en pointant une certaine lassitude au fil des lectures : j'en ai adoré trois et aurais pu me passer de lire les trois autres. Trop c'est trop ? Une pause s'avère bienvenue alors que j'apprends qu'un nouveau roman sort et qu'un autre est déjà en préparation.

--> Voir mes chroniques : Un avion sans elle- Ne lâche pas ma main - Gravé dans le sable - N'oublier jamais - Nymphéas noirs 

Jonathan Coe : "Expo 58"

***** "Expo 58" (2013, Penguin Books, 274 p.)

"In a note dated 3 June 1954, the Belgian Ambassador in London conveyed an invitation to Her Majesty's Government of Great Britain : an invitation to take part  in a new World's Fair which the Belgians were calling the "Exposition universelle et internationale de Bruxelles 1958".

Jonathan Coe écrit bien, et ce petit roman se lit bien même s'il ne casse pas des briques !
Il donne un certain aperçu du climat de la guerre froide vu par le prisme de l'exposition universelle de Bruxelles. Le parcours de l'apprenti espion (qui ne le sait pas), Thomas Foley, est parfois drôle. Sa vie familiale l'est moins et je trouve que Jonathan Coe l'a fort bien dépeinte (l'incident du pansement pour cors retrouvé dans le lit conjugal est lourd de conséquences).
Tout comme Jonathan Coe parvient à donner une description intéressante de la vie de banlieue londonienne d'un jeune couple, du rapport aux voisins, On s'intéresse aussi à la Belgique d'après-guerre.
La fin, en revanche, qui amène le lecteur 40 ou 50 ans plus tard, ne m'a pas passionnée.

Ce roman m'a fait penser de bout en bout au film "CONGORAMA" réalisé par Philippe FALARDEAU (Canada / Belgique, 2006) avec Olivier Gourmet, Paul Ahmarani, Gabriel Arcand, Jean-Pierre Cassel, Claudia Tagbo... qui fait également référence à l'expo universelle de 1958 et au pavillon où fut "exposé" un village du Congo belge montrant les autochtones comme dans un zoo. Il est aussi question d'espionnage industriel dans le film mais hors cadre de la guerre froide.

Entre le livre "Expo 58" et le film "Congorama", je vote sans hésitation pour le film.
Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...