dimanche 16 novembre 2014

Jaume Cabre : éblouissant "Confiteor" (Espagne)

***** ("Jo confesso" 2013 - Ed. Actes Sud, Traduit du catalan par E. Raillard, 780 p.)

Oh la la... Qu'il est lourd ce "J'avoue". Et pourtant je l'ai trimbalé partout pendant une dizaine de jours, sans pouvoir décrocher de l'histoire d'Adria Ardevol à la croisée de cinq siècles d'histoire et dans une langue magnifique mais se jouant de ci de là de la ponctuation pour mieux propulser le lecteur dans un voyage dans le temps perpétuel.

Une lecture très exigeante, ardue bien souvent, qui requiert une concentration totale.

Que de personnages, que d'époques souvent balayées dans un même chapitre voire dans un même paragraphe, où un personnage s'exprime et c'est un autre d'une autre époque qui termine la phrase.
Qui cherche un défi littéraire en trouve un exceptionnel avec Confiteor. Jaume Cabre, qui a consacré huit années à écrire ce livre, a dit "J'ai compris  que j'avais besoin d'une simultanéité dans le temps et dans l'espace, même si cela devait constituer un défi à la linéarité du langage." (in Page, n°162)

Je ne me risquerai pas à résumer l'histoire de ce pavé (lourd, tellement lourd, mais si riche tellement riche). Adria, en fin de vie et atteint par la maladie d'Alzheimer, confesse ses souvenirs. Son ami de toujours, et seul ami d'une vie, Bernat s'empare du récit pour éditer un roman monumental. 
J'ai dit "seul ami" ? Je corrige : toute sa vie durant, Adria fut accompagné par ses deux figurines jouets d'enfance, l'indien Aigle-Noir et le shérif Carson. Des confidents et des conseillers omniprésents dans le livre, qui ne manquaient pas de recréer un élan de sympathie de la part du lecteur vis-à-vis du personnage d'Adria parfois peu facile à appréhender.

Ses parents tissent chacun des ambitions démesurées pour Adria : tandis que son père lui impose d'apprendre au moins 10 langues, sa mère rêve d'en faire un violoniste virtuose.
"Je me suis toujours souvenu de papa comme d'un homme âgé. Maman, en revanche, c'était Maman. Dommage qu'elle ne m'ait pas aimé." (p.54)

A son ami Bernat :
"Je lui parlai des cours d'hébreu et des matières de philosophie que j'intercalai avec celles de philologie et de ma décision de passer ma vie à étudier et si je peux donner des cours à l'université, super ; sinon, je deviendrai érudit privé." (p.320)

Une rencontre :
"Isaiah Berlin posa le livre sur la petite table et dit je lis tous les jours et tous les jours je m'aperçois qu'il me reste tout à lire. Et de temps en temps je dois relire, même si je ne relis que ce qui est digne du privilège de relecture." (p.573)

En fin de vie :
"Je sais bien : je t'ai tout raconté en désordre, mais c'est aussi que ma tête est un peu démeublée. (...) Je n'ai pas le courage de regarder en arrière ; d'un côté parce que lorsque j'écrivais certaines choses je pleurais ; et de l'autre parce que chaque jour je sens qu'une chaise ou un bibelot disparaissent de ma tête. Et je me convertis peu à peu en personnage de Hopper, regardant à travers la fenêtre ou à travers la vie, le regard vide et la langue pâteuse de tabac et de whisky." (p.762)

Il faut oser s'attaquer à ce livre, s'accrocher et puis ensuite, de toutes façons, on se retrouve happé et on ne peut plus le lâcher, ce livre qui pèse trois tonnes.

La passion d'Adria pour les vieux livres et les éditions rares m'a fait penser au "Cimetière des livres oubliés" de Carlos Ruiz Zafon, qui se déroule aussi dans la Barcelone des années 40, mais la comparaison s'arrête là car "Confiteor" vogue à des années lumières au-delà de "L'ombre du vent"...

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