mardi 22 septembre 2015

David Carkeet : "Le linguiste était presque parfait"

***** "Double Negative", 1980
(Ed. française Monsieur Toussaint Louverture, Trad. N. Richard, 288 p.)

"Mais vous faites quoi au juste avec ces bébés ?"
J'ai hésité à attribuer trois ou quatre étoiles à ce roman insolite... Le contexte m'a bien plu (un institut d'études du langage spécialisé dans l'analyse des premiers babils des tout-petits, qui s'avère en fait une crèche reconvertie accueillant à bas prix les bébés cobayes de la recherche linguistique - mais rassurez-vous, on ne leur fait rien de mal !). 
"J'étudie ce que j'appelle les idiophénomènes". Ce sont les dispositifs linguistiques que les enfants développent d'eux-mêmes, sans s'inspirer du monde adulte. Il peut s'agir de simples énoncés aux significations invariables, comme le "beu" d'un tout-petit pour dire "Je veux ce petit canard", jusqu'à des modulations bien plus personnelles, qui n'appartiennent qu'à l'enfant qui les énonce." (p.12)
L'histoire en revanche, qui se voulait "la jouer" intrigue policière, fait un peu flop surtout vers la fin où là on se dit que l'auteur a carrément oublié de finir son roman... (Mince alors, qui a tué Philpot au final hein ?)
Les personnages sont plus ou moins intéressants : 6 linguistes, les assistantes et auxiliaires, le policier façon Hercule Poirot. Deux meurtres : un linguiste retrouvé mort dans le bureau d'un collègue linguiste, Jeremy Cook, et un journaliste noyé avec au cou la machine à écrire de ce dernier.
Si ce linguiste Jeremy Cook, séduisant, célibataire, mais aussi gauche et farfelu (obnubilé par une rumeur le traitant de "parfait trou du cul"), est plutôt sympathique, mon chouchou fut quand même Wally, le bébé de 16 mois dont les "m'boui" font l'objet d'analyses poussées dans l'institut.
"- Il lui demanda si elle avait observé certains des enfants parmi ceux qu'il étudiait.
- Wally Woeps, c'est tout. 
- Il a refait des "m'boui" ?
- Non. Uniquement quelques "pffff" et "n'deuh".Je pense que vous avez raison à propos de la distinction." (p.39)
C'est une lecture facile et le trait est souvent loufoque
Le roman vaut le détour, c'est certain, même sans l'élever au rang de chef d'oeuvre. 
Il y aurait deux autres opus avec le même Jeremy Cook : je ne les ai pas encore lus, mais, bien que Jeremy vit et travaille dans l'Indiana aux EU, je l'aurais si bien imaginé à l'époque en couple avec... Bridget Jones !!! voui ! 
Sauf que, je confesse avoir lu dévoré le dernier Bridget "Mad about the boy" et que ma Bridget elle semble quand même tombée à 51 ans sur another right guy (voui puisque Dearest "Colin First" est décédé).
A noter qu'il s'agissait du 1er roman de cet auteur américain, publié aux EU il n'y a que... 35 ans ! Dear God, 35 ans de nos jours pour atteindre le public francophone : un grand merci à l'éditeur tout de même !
"- Bonjour Jeremy. Alors des potins ?
- Pas aujourd'hui, Ed. Mais je crois avoir saisi le "m'boui" de Wally.(...) - J'ai passé en revue toutes les occurrences que j'ai, mais il va m'en falloir davantage pour vérifier. On dirait que c'est un commentaire sur des objets en mouvement, comme pour dire "quelque chose se déplace" ou "il y a du mouvement". Toutes mes notes indiquent qu'il regarde des gens ou des animaux qui bougent ou des poissons qui nagent...- Ou de l'eau qui coule dans la baignoire.
- Oui. Justement je voulais te poser la question. A-t-il dit ça à propos de toi ou à propos de l'eau ?
- Il montrait l'eau.- Ah bon, tu ne me l'avais pas dit.
- J'ai oublié. C'est facile d'oublier ces choses-là. Il l'a dit deux fois aujourd'hui, Jeremy.
- Bien, dit Cook, tout sourire en entendant Woeps parler des m'boui, comme s'il s'agissait de cadeaux. Je suis content d'entendre qu'il continue. A quelle occasion les a-t-il prononcés ? 
- Il y en a eu un adressé à la chatte du voisin quand elle elle est passée en courant, et l'autre en voyant un Indien à la télé. Je crois qu'à ce moment-là, il était sur un cheval.- Bien. As-tu noté les intonations ?- Absolument pas.
- Dis-moi si tu y comprends quelque chose : j'ai des intonations très distinctement montantes dans ses remarques sur les quatre personnes à propos de qui il l'a dit, toi, moi, et deux auxiliaires, Sarah et Sally, ainsi que sur le poisson et un jouet qui se remonte et qui roule. Mais l'intonation est tombante avec les écureuils et les oiseaux. Il en a sorti quatre quand j'étais dehors avec lui un matin de la semaine dernière. Tous tombants, Deux oiseaux, deux écureuils.- On ne peut pas dire qu'il y ait de grandes similarités physiques, hein ? fit Woeps. 
- Non. C'est peut-être parce que ce qui importait était que nous étions dehors. Le "m'boui" avec une intonation tombante signifie peut-être "le déplacement se passe en extérieur". Mais ce serait tout de même bizarre. 
- Wally n'aime pas vraiment les oiseaux et les écureuils. Cook fronça les sourcils.- Ah ?Oui je ne sais pas trop pourquoi, mais il en a peur.- Et il nous aime bien, toi, moi, les deux auxiliaires et le poisson...- Oui, pour ce que j'en sais.
- Fichtre, fit Cook, se sentant presqu'estomaqué. C'est une indication sur ses préférences personnelles.- Tu viens de piquer ma curiosité. Je vais le surveiller avec attention.- Ed, j'ai hâte de l'étudier. Pourrais-je l'avoir quelques heures ce soir ?" (p. 155-157)
--> Chronique "polars" et "enfants" (m'boui !)...

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