lundi 9 novembre 2015

S. Wenger : "Jours tranquilles à Tunis"

***** Chroniques, 09/2015, Ed. Riveneuve éditions, 232 p.

L’auteur de ce petit recueil est une journaliste française correspondante à Tunis de plusieurs journaux, qui a tenu les chroniques de son séjour en Tunisie entre l’été 2012 et l’été 2015. Elle avait auparavant vécu 7 ans au Caire comme correspondante en Egypte. Elle connaît également la Syrie où elle a séjourné entre 2004 et 2007, à Alep.

Le titre ("Jours tranquilles...") ne manque pas de surprendre pour qui ne connaît pas cette collection, car de quiétude il est rarement question.

J’ai de suite été intéressée par le regard que la journaliste portait sur la société tunisienne, un regard influencé, comme elle le souligne, par ses dix années de vie et de reportages en Egypte et en Syrie. En ce qui me concerne, je n'ai qu'une vision raccourcie à trois semaines de la Tunisie, à l'occasion de vacances familiales en 2003.

La construction du livre est linéaire, suivant l’ordre chronologique et entrecoupant les chroniques ou « instantanés » du quotidien d’entrefilets de presse portant sur l’actualité du moment (procès, incidents, assassinats, campagne électorale etc.). Cette alternance de sujets légers et d'informations tragiques surprend, mais montre aussi que la vie suit son cours.

L'ourvrage (re)plonge le lecteur dans l’histoire agitée et exceptionnelle de ces dernières années. La journaliste évoque bien entendu les événements qui ont précédé son arrivée en Tunisie. La mort du marchand de légumes de Sidi Bouzid en décembre 2010, à qui l’on avait confisqué sa charrette. La fuite de Ben Ali en janvier 2011… Exactement à la même période, fin décembre 2010 début 2011, nous étions en vacances en Egypte à descendre le Nil en famille sur une petite felouque, ignorant les événements parallèles en Tunisie, mais sentant croître la tension en Egypte notamment au regard de la population copte.. 

Dans ses chroniques, Stéphanie Wenger nous fait part de ses découvertes des spécificités de ce petit pays de 10 millions d’habitants appelé à devenir « l’exception tunisienne ».
Au quotidien, elle nous fait partager la cuisine (le pain bagnat, le lableli qui fait l’objet d’une chronique savoureuse…), le dialecte et ses adaptations de mots français, la séance chez le coiffeur habitué à couper les nonnes « à l’italienne », le mauvais œil qu’une amie lui a ôté et qui la faisait bailler à n’en plus finir. Elle décrit la tristesse des cinémas d'aujourd'hui (j’ai repensé au récit de Joël Alessandra évoquant l’ancien cinéma municipal de Constantine) et nous emmène dans « l’empire de la fripe ». S’agissant du foot, S. Wenger s’arrête aussi sur le soutien de la Tunisie à l’équipe d’Algérie en lice contre l’Allemagne pendant la coupe du monde, et commente la rivalité des deux clubs de foot, l’Espérance de Tunis et le Club africain.
Ces "instantanés" aident à connaître la société tunisienne bien mieux qu'un guide touristique ne le ferait.

Tout au long de son récit, l'auteur aborde aussi les sujets politiques, commentant les assassinats d'opposants, l'emprisonnement d'un rappeur, le viol d'une jeune femme, les manifestations, la campagne électorale, la menace terroriste qui a frappé au musée du Bardo, et sur la plage de Sousse. quelques jours avant son départ de Tunisie. On y sent une Tunisie déchirée sur certains sujets et désemparée des suites de la révolution de jasmin, mais qui envers et contre tout met en place en octobre 2013 un "dialogue national" orchestré par quatre syndicats (des travailleurs, du patronat, des avocats, et la ligue des droits de l'homme) qui ont eu à coeur de relancer le processus démocratique et de parvenir à des élections libres.
Le récit du vote de la nouvelle Constitution tunisienne en janvier 2014, résultat d'un compromis historique, est passionnant.

Le 9 octobre 2015, le Prix Nobel de la paix est décerné à ce quartet du "dialogue national" tunisien. Le livre de Stéphanie Wenger, publié en septembre 2015, aide à comprendre le cheminement de la Tunisie et des Tunisiens jusqu'à ce résultat. Puisse ce printemps durer toutes saisons toutes années.

Quelques instantanés de notre voyage familial en Tunisie en 2003 (cliquez sur le diaporama) :


A titre plus anecdotique, vers la fin de son ouvrage, Stéphanie Wenger nous fait part de ses questions non résolues, alors qu'elle s'apprête à quitter la Tunisie :
« - Qui achète les coffres forts qui sont exposés au bord de la route- Pourquoi le voyant des taxis signifie « libre » quand il s’allume au rouge ?- Pourquoi les œufs s’achètent par quatre ?- Pourquoi appelle-ton métro léger ce qui n’est après tout qu’un tramway ? Qu’est-ce qu’un métro lourd ?- Qui a noué les rubans autour du cou des pigeons de la mosquée Al Fath ? Je pense que c’est le vieux mendiant en fauteuil. J’ai toujours voulu lui poser la question… » (p.221)

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