jeudi 16 juillet 2015

Jocelyne Saucier : "Les héritiers de la mine" (Canada)

***** Éd. Denoël (2015)

"Quand le vieux hibou aux dents vernissées de nicotine a posé la question, j'ai cru que nous étions partis pour le folklore."

Voilà ma deuxième rencontre (après l'émouvant "Il pleuvait des oiseaux") avec Jocelyne Saucier, écrivaine francophone née au Nouveau-Brunswick en 1948.
"Les héritiers de la mine" est un formidable roman, que je ne pouvais lâcher...

L'histoire d'une famille hors normes, les Cardinal, établie dans la petite ville minière de Norcoville en Abitibi (Québec), avec 21 enfants de tous âges qui s'élèvent un peu tout seuls, les grands veillant sur les plus petits, etc, and so on, and son on. Le père est prospecteur minier et la mère est aux fourneaux quasi toute la journée.

Certaines parties relèvent de la même ambiance que "La guerre des boutons", car la tribu des enfants Cardinal est en guerre perpétuelle avec les autres gamins, "les culs-terreux". C'est savoureux.

Le roman s'attache à peindre la richesse (toute relative) et la décadence de cette petite ville minière, avant et après la fermeture de la mine de zinc. L'avant et l'après. La grande famille rassemblée puis éclatée aux quatre coins de la province ou du monde. Car entre-temps un drame est survenu : la mort d'Angèle, une des jumelles...

Chapitre après chapitre, où intervient à chaque fois un membre différent de la famille, nous est révélé un pan du lourd secret de famille qui a recouvert d'une chape de plomb les rapports au sein de la fratrie et avec les parents.
Émouvante chronique familiale, délicate peinture d'une région sinistrée, grande qualité d'écriture... A lire !!!
"Vingt et un enfants ? (...) Les deux douzaines d'oeufs le matin, les cent livres de patates à la cave, les batailles avant l'école pour retrouver nos bottes, les batailles le soir pour nous faire une place devant la télé, les batailles tout le temps, pour rien, par plaisir, par habitude. Le folklore. (...) L'époque de Geronimo, du Grandjaune, de La Tommy, d'ElToro. Les années soixante. La mine était fermée, Norco s'effritait, les maisons disparaissaient (on les déménageait ou nous les brûlions), la broussaille envahissait les carrés de ciment, la mauvaise herbe broutait les rues défoncées : nous régnions sur Norco. Norco qui aurait dû s'appeler Cardinal, parce que le zinc de cette mine, c'était notre père qui l'avait découvert et qu'on lui avait volé." (pp.8-9)
"Le mot, à l'origine, avait été une phrase, un avertissement bien sonné. "Que personne ne prenne ma place !" ou quelque chose du genre. Avec le temps et l'usage répété qui en a été fait, la phrase est devenue "Aheumplace". (p.36) "Il est devenu Aheumchemise, Aheumbottes, Aheumstylo, Aheumcarabine, AheumCornFlakes."
"Norco, pendant ces deux semaines, était assiégé par un soleil d 'enfer. Nous n'étions qu'à la mi-juillet et, pourtant, il y avait dans l'air une poussière sèche de fin d'été. Norco cuisait au soleil. La ville n'était qu'une enclave, une trouée minuscule dans la for^t, un îlot pelé, sans arbre et sans aucune végétation que les longues herbes dansant mollement entre les maisons, et, ainsi livrée aux ardeurs du ciel, elle était devenue une immense plaque chauffante que nous parcourions en tous sens, du matin au soir, gris de poussière, bruns de soleil, noirs de rage conquérante (...)." p.81
"[Les culs-terreux] nous criaient : "Allez-vous-en ! Espèces de bandits !."ils rageaient d'impuissance. Ils ne pouvaient rien contre nous. Nous étions trop nombreux, nos parents nous avaient oubliés, nous poussions  comme de la mauvaise herbe." (p.85)
"J'avais 5 ans, 6 ans, la ville m'apparaissait immense. (...) De la caserne des pompiers qui ne servait pas mais rutilait de blanc au soleil (elle avait été construite juste avant la fermeture de la mine) jusqu'à ces masures de papier mâché qui s'égaillaient en bordure de forêt, il y avait trois vastes quadrilatères herbeux, et perdues dans la désolation, quelques maisons délabrées ou en voie de l'être.C'était pareil sur l'autre axe : de l'espace, de grandes herbes, des rues de bitume gris et vérolé, quelques constructions esseulées et, un peu partout, les monticules que laissaient les maisons qu'on avait transportées ailleurs : les fondations de ciment, les remises qui s'étaient affaissées, une carcasse d'auto qui n'avait pas voulu suivre. Et parfois, ô merveille, une maison coquette et proprette qui cultivait les fleurs et l'insolence. Comme celle des Potvin, qui avait déjà servi d'hôtel de ville."
"Peu de temps après, Geronimo avait pris place dans la Studebaker d'Émilien et personne ne s'est préoccupé de savoir si, derrière, Angèle était bien Angèle. C'était une journée d'été, de celles qui vous embrasent de la tête aux pieds et ne vous laissent aucune goutte de sueur à sécher au soleil. L'été à Norco était saharien jusqu'en août. Nous vivions dans un tourbillon de vapeur sèche sous un ciel vibrant de cruauté jusqu'à ce que, pris de pitié, il décide de crever son eau et nous écrase de pluies diluviennes pendant des semaines." (pp.108-109)
--> Petite chronique "Québec"... 

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