Voilà, j'ai lu les trois finalistes du prix France-Québec 2015. Mes lauréats sont les suivants :
N°1 : "Nous étions le sel de la terre" de Roxanne Bouchard
N°2 : "Mort-Terrain" de Biz
N°3 : "Mot" de Julie Hêtu
Le jury a rendu son verdict : BIZ et son "Mort-Terrain" a été désigné lauréat 2015...
Le jury a rendu son verdict : BIZ et son "Mort-Terrain" a été désigné lauréat 2015...
Roxanne BOUCHARD : "Nous étions le sel de la terre" ***** 2014 (Ed. VLB, 353 p.)
"Quand O'Neil Poirier a vu la coque du voilier se profiler à travers le hublot de sa cabine, il s'est dit que la journée commençait vraiment mal."...
Catherine débarque à la Baie des chaleurs, en Gaspésie. Pensant retrouver sa mère biologique, après une rupture avec son compagnon. elle a comme largué les amarres. Elle prend ses habitudes à l'auberge, se prétend touriste, rencontre les habitants, plus ou moins accueillants mais plutôt plus que moins car ils sentent en elle une fille du pays.
Elle découvre la vie des marins, leur désarroi tandis que l'activité de pêche se délite. Toute leur vie pourtant. Elle sympathise avec un ancien, Cyrille.
Tout cela est remarquablement transcrit. L'intérieur des maisonnées de bois, le déjeuner à l'auberge avec le cuistot si fier de ses couteaux aiguisés et de son tablier.
Et puis, en filigrane une intrigue policière : un des pêcheurs a retrouvé dans ses filets une femme noyée. Que tout le monde a reconnu. S'en vient un inspecteur de police de Longueuil qui vient juste d'être muté là, et qui démarre sur cette affaire. Lui aussi, nous parvenons à bien le connaître grâce à la prose de Roxanne Bouchard, on s'attache à lui et à son couple qui se délite comme tout dans cette baie des Chaleurs.
Un roman sublime, gros coup de coeur, avec une écriture puissante et du cru, qui est un ravissement.
Elle découvre la vie des marins, leur désarroi tandis que l'activité de pêche se délite. Toute leur vie pourtant. Elle sympathise avec un ancien, Cyrille.
Tout cela est remarquablement transcrit. L'intérieur des maisonnées de bois, le déjeuner à l'auberge avec le cuistot si fier de ses couteaux aiguisés et de son tablier.
Et puis, en filigrane une intrigue policière : un des pêcheurs a retrouvé dans ses filets une femme noyée. Que tout le monde a reconnu. S'en vient un inspecteur de police de Longueuil qui vient juste d'être muté là, et qui démarre sur cette affaire. Lui aussi, nous parvenons à bien le connaître grâce à la prose de Roxanne Bouchard, on s'attache à lui et à son couple qui se délite comme tout dans cette baie des Chaleurs.
Un roman sublime, gros coup de coeur, avec une écriture puissante et du cru, qui est un ravissement.
"Le ciel a craché, ce jour-là, une bruine ennuyante, glaciale, qui détrempait les os et donnait un frisson d'octobre. Je me suis enveloppée dans un fauteuil et j'ai ouvert un livre d'images de voile qui traînait. Mauvaise idée. Les blues me pendaient au bout des bras et dégoulinaient autour de moi. le soleil commençait à débarbouiller tout ça quand je me suis pointée, en fin d'après-midi, au comptoir à Renaud." (p.36)
"Il m'a détaillée des pieds à la tête et vice-versa pendant que moi, mon sac, ma robe voyante, mon collier creux dans le décolleté et mes talons, on se diluait en flaque de honte sur le tapis de la porte." (p.42)
"Au passage, il m'a jeté un regard vide d'homme dépouillé qui n'a plus d'endroit où échouer sa peine. J'ai pris ce regard et l'ai logé au fond de mes pupilles, là où il restera longtemps rangé comme l'image du désarroi. (p.69)
"Au passage, il m'a jeté un regard vide d'homme dépouillé qui n'a plus d'endroit où échouer sa peine. J'ai pris ce regard et l'ai logé au fond de mes pupilles, là où il restera longtemps rangé comme l'image du désarroi. (p.69)
"J'en voulais à l'amour de m'avoir déçue, à ma mère d'être allée en voile, à mes parents d'être morts. J'en voulais à mon travail de m'ennuyer, à ma ville d'être impersonnelle, à ma vie de n'être pas à la hauteur de mes rêves." (p.241)
"Marie Garant, l'eau aurait dû la garder, lui gruger la peau et les os, l'avaler pis la sédimenter, en faire du beau corail. Hiiiii... Y veulent toujours qu'on soit le sel de la terre ! Hiiiii... Pourquoi, nous autres, on serait pas le sel de la mer ?" (p.259)
"Dans sa suite de l'hôtel Sheraton au centre-ville de Toronto, John Smith exulte."
Le roman, écrit par un rappeur québécois (du groupe Loco Locass), est présenté en 4e de couverture comme un "thriller d'horreur" mâtiné de fantastique : j'ai bien failli renoncer à le lire tant cela correspond à tout ce que je n'aime pas. Heureusement que j'ai passé outre : voilà une bonne lecture où j'ai de plus craqué pour la rédaction en "québécois". Le Québec vraiment comme si j'y étais, au bord du lac, au fil des saisons. Sans les mouches à boeufs.
L'histoire est bien menée et bien contée : un jeune médecin de Montréal s'en vient s'installer en Abitibi, dans le village de Mort-Terrain, à proximité de la réserve indienne de Mézézac. Ça fait deux camps : les Blancs et les Indiens.
Adopté dès son arrivée par les "purs laines", il parvient néanmoins à se rapprocher des Indiens, et se retrouve petit à petit pris en tenailles entre les deux camps.
"La voix chaude et calme de Johnny Cash filtrait de la cabine. Sylvain m'a donné un coup de coude en hurlant dans le vent. - On est-tu ben, doc ! Ostie qu'on est ben ! T'essaieras ça, de te promener en divan avec de la bière à Montréal ! pis on peut pas se faire arrêter par la police. Est ici la police !" (p.43)Un projet d'exploitation minière va diviser les villageois et briser une solidarité qui souvent n'était qu'apparente (ceux qui veulent de l'emploi, ceux qui redoutent les conséquences de la mine et l'expropriation) et les deux camps : les Indiens algonquins veulent faire valoir la propriété ancestrale sur ces terres tandis que la majorité des Blancs ne jurent que par le développement économique promis par la Wendigo Mining Company.
L'élément fantastique m'est passé complètement au-dessus. Ouf car ce n'est pas mon fort.
La peinture de la vie dans les régions loin des grandes agglomérations paraît juste et réaliste. L'accent est aussi mis sur la misère dans les réserves où sévissent l'alcoolisme, le chômage, le manque de perspectives. Biz fait aussi référence aux placements au début du siècle des enfants amérindiens chez les pères blancs où on les forçait à oublier langue et culture et où ils étaient violentés.
"Il fallait absolument que je retrouve mon char. Le soleil cuisait la rue Principale déserte. Ne manquait que la boule de brindilles roulante du Far West." (p.20)
Ce qui m'a perturbée : la rupture dans le rythme du roman, où tout s'accélère trop trop vite dans le dernier quart alors que les trois premiers quarts suivent leur rythme tranquille. Du coup, la fin m'a parue fouillis et précipitée. Dommage, sinon j'aurais mis 5 étoiles...
Julie HÊTU : "Mot" ***** 2014 (Ed. Triptyque, 204 p.)
Réf. géogr : Québec (auteur) / Liban / Espagne (Majorque)
" Dhour Choueir, Liban, 1966. Maman est toute petite. Je lui ressemble. Elle s'appelle Anat."...
Un court roman, bien écrit, mais jalonné de morts et de tragédies, du Liban jusqu'en Espagne.
Je n'ai pas réussi à m'attacher à la famille Baal, peut-être parce que les événements allaient trop vite.
"Mot", le titre du roman, fait référence à un petit garçon que l'on a peine le temps de voir grandir, et qui de toutes façons n'est pas le personnage principal avant la quasi-fin du roman. Ce sont les femmes de la famille qui occupent le terrain.
La mère Cybèle répond à l'appel de la guérilla au Liban et laisse la famille en plan. La petite dernière se découvre une passion pour la tauromachie dès son plus jeune âge. Elle en mourra à peine adolescente. Cela signera la descente aux enfers de son frère Mot qui massacre leur père de 300 coups de carabine, va en prison, correspond avec sa mère qui a connu aussi la prison mais au Liban. A la fin, la mère rejoint son fils en Espagne à sa sortie de prison, pour mourir dans l'arène... des mains de ce fils devenu fou.
Je n'ai pas réussi à m'attacher à la famille Baal, peut-être parce que les événements allaient trop vite.
"Mot", le titre du roman, fait référence à un petit garçon que l'on a peine le temps de voir grandir, et qui de toutes façons n'est pas le personnage principal avant la quasi-fin du roman. Ce sont les femmes de la famille qui occupent le terrain.
La mère Cybèle répond à l'appel de la guérilla au Liban et laisse la famille en plan. La petite dernière se découvre une passion pour la tauromachie dès son plus jeune âge. Elle en mourra à peine adolescente. Cela signera la descente aux enfers de son frère Mot qui massacre leur père de 300 coups de carabine, va en prison, correspond avec sa mère qui a connu aussi la prison mais au Liban. A la fin, la mère rejoint son fils en Espagne à sa sortie de prison, pour mourir dans l'arène... des mains de ce fils devenu fou.
Spéciale comme histoire.
D'aucuns apprécient les références à la mythologie. Je dois reconnaître que n'étant pas du tout portée sur la tauromachie, le sujet qui est traité de façon approfondie m'a assez intéressée, l'auteure ayant pris également soin de développer la progression du courant anticorrida. Et chapeau à l'auteure Julie Hêtu pour sa connaissance de l'Espagne.
La fin du roman laisse tout de même un goût amer. Je ne le recommanderais pas.
D'aucuns apprécient les références à la mythologie. Je dois reconnaître que n'étant pas du tout portée sur la tauromachie, le sujet qui est traité de façon approfondie m'a assez intéressée, l'auteure ayant pris également soin de développer la progression du courant anticorrida. Et chapeau à l'auteure Julie Hêtu pour sa connaissance de l'Espagne.
La fin du roman laisse tout de même un goût amer. Je ne le recommanderais pas.
"J'ai cueilli quelques cerises pour les manger et j'ai mis les noyaux dans ma poche, j'étais incapable de les jeter. Tout ce qui possédait même la plus infime parcelle de poésie, était devenu trop précieux pour que je puisse m'en défaire."
«Tu sais ce que c’est le duende, mon amour, c’est avec lui que je lutte en ce moment, c’est avec lui que toujours on lutte, mon ange. C’est une lutte terrible, qui brûle le sang comme une pommade d’éclats de verre, dirait Lorca, et qui s’appuie sur la douleur humaine qui n’a pas de consolation.»
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