Petite intro : Comment ai-je connu cet écrivain ? Grâce à la bibliothèque qui avait mis en rayonnage nouveauté "La glace". J'ai donc commencé par ce roman de 2002: phénoménal, marquant, indélébile, crépusculaire... puis j'ai appris qu'il y en avait eu d'autres et, encore plus tardivement, j'ai su que La glace s'inscrivait dans une trilogie avec deux "suites"... pas encore lues... mais qui me tardent !
L'auteur : "J'ai moi aussi mon propre système optique: mes deux éclairages sont la Russie d'avant la révolution et la Russie post-industrielle de l'avenir. C'est à l'endroit où leurs rayons se croisent que je vois apparaître l'hologramme de la Russie d'aujourd'hui".
Le mot clé : DYSTOPIE - Décrire le monde sous des couleurs futuristes et totalitaires.. Définition Larousse : "Description, au moyen d'une fiction, d'un univers déshumanisé et totalitaire dans lequel les rapports sociaux sont dominés par la technologie et la science. "Le Meilleur des Mondes"/"Brave New World" de Aldous Huxley, est un exemple de contre-utopie."
Vladimir SOROKINE - La Glace***** 2002
Genre : Phénoménal, marquant, indélébile, crépusculaire... ésotérique, inquiétant...
Ma première rencontre avec un livre de Sorokine, et une découverte totale. je l'ai lu d'une traite (janv. 2009).
Je me suis laissé prendre par l'intrigue, l'angoisse, le mystère (mais qui sont donc ces gens ? cette Confrérie de la Lumière originelle ?), l'originalité du propos et de l'écriture. Les membres de cette secte enlèvent de façon inattendue des individus, blonds aux yeux bleus, dans les rues de Moscou. Pour quoi faire ? Pour faire "parler le coeur des hommes" en leur frappant la poitrine à coups de marteau en glace issue d'une météorite tombée il y a 100 ans en Sibérie...
Seuls les "élus" survivent et rejoignent la Confrérie de la Lumière originelle, les "prêtres de la glace dont la finalité est de retrouver la pureté de la lumière cosmique originelle..., qui se veut pure comme la glace et a pour objectif ultime de purifier l'humanité souillée par la corruption, le sexe, la violence... l'histoire se déroule depuis la Russie stalinienne jusqu'à aujourd'hui.
Et la fin est tellement incroyable, pleine de références, de questions, de surprise... un très bon livre même pour les lecteurs qui, comme c'est mon cas, ne sont pas trop attirés par la science fiction...mais qui apprécient de lire sur la Russie.
"La Glace relate la quête désespérée d'un paradis perdu. Violent, énigmatique, ce roman, qui mêle plusieurs genres - fantastique, policier, satirique, picaresque -, est la critique féroce d'une époque où le sacré semble avoir disparu." (4e de couverture)
Vladimir SOROKINE - Journée d’un opritchnik ***** 2006
Bon livre, mais pas aussi bien que La Glace...
Le quotidien d'une milice spéciale, dont les membres sont des assassins, des pervers, des orgiaques... qui règnent sur Moscou dans une Russie totalitaire de l'an 2028. L'opritchina nous renvoie à Ivan le Terrible, et l'on constate que dans cette Russie de 2028, la vie est effroyable, tout est sous le joug d'une sorte de nouveau KGB, commandé par un tsar sanguinaire et sans plus aucune trace d'un Etat de droit. Ultra-violent, ultra-inquiétant, ultra-lucide ? (lu en 2009)
"Moscou, 2028. Une oligarchie sanguinaire exerce sur la Russie un contrôle totalitaire absolu. Équipés désormais de moyens technologiques ultra-sophistiqués, les nouveaux maîtres - des opritchniks à l'image des gardes d'Ivan le Terrible connus pour leur sadisme - plongent le pays dans un sanglant féodalisme. Parmi eux, Komiaga, dont Sorokine déroule ici une journée ordinaire, rythmée par ses missions (liquidation d'un aristocrate, détournement de fonds à la frontière chinoise, enquête sur un poème calomniant le gendre du souverain...) et ses rituels, alternant séances de prières et orgies.
"En Occident, être écrivain est une profession, chez nous, c'est un travail de sape : l'écrivain sape les fondements de l'État. Dans le contexte actuel, ce roman brillant et impitoyable constitue une véritable provocation vis-à-vis du nouveau tsar : on est saisi par la vision de ce qui pourrait être un KGB nouvelle manière, moralisateur et pervers, composé d'assassins qui se réfèrent au christianisme."
Vladimir SOROKINE - La
tourmente ***** 2010
"La tourmente" mêle habilement une sorte de récit historique et de science fiction : habilement car il m'a fallu du temps pour comprendre que tout n'était pas réel dans le récit, et que le fantastique y tenait une grande part, et que finalement, plutôt que d'évoquer le passé, Sorokine décrivait l'avenir !
Donc encore peu habituée à la littérature sorokinienne, j'ai pensé au début entamer un roman traditionnel d'obédience "littérature russe traditionnelle", sans référence ésotérique ou science fiction.
J'ai toutefois commencé à me poser des questions je crois quand il fut question de la femme du meunier et de son mari meunier... en fait un être miniature qui boit sa vodka dans un dé à coudre et qu'elle réchauffe contre sa poitrine dans son corsage ! Avais-je bien lu ?
Donc, l'histoire pour moi, au début, prenait l'allure d'un récit historique normal : un médecin doit louer un
traîneau ("la trottinette") à un moujik, "le Graillonneux", porteur de pain de son état, pour rejoindre à
travers neiges et tempête un village frappé par une épidémie de peste et y livrer les
vaccins.
Un récit d'abord ordinaire d'une course en pleine tempête : les patins qui cassent, les couvertures de peaux et le samovar pour réchauffer le passager, le silence, l'immensité, les hurlements de loups...
Mais le fantastique s'est petit à petit révélé et affirmé au fur et à mesure que le récit s'assombrissait et que la tourmente se renforçait :
- le traîneau est tiré par 50 chevaux… miniatures (franchement, j'ai mis un temps à comprendre cette histoire de mini-chevaux !)
- on rencontre un meunier
nain de la taille d’une poupée, désagréable et et injurieux... marié à une belle matrone russe
-
Le docteur et le cocher rencontrent en pleine tempête au milieu de nulle part, mais dans des tentes "magiques", des "Vitaminovampires" kazakhes qui dealent de la drogue dure contenue... dans
des pyramides de verre...drogue qu’apprécie du reste le Docteur.. C'est à ce moment que le lecteur baigne en pleine SF. Je passe l'épisode du géant congelé sur le nez duquel la trottinette de nos deux compères se fracasse...
- Contre toute attente, Vladimir Sorokine met en scène à la fin des Chinois équipés de téléphones portables qui conduisent un "traîneau/train" tiré par un "cheval géant" haut
comme 2 immeubles.
Je dois dire et répéter qu'il m'a vraiment fallu du temps pour comprendre que Sorokine nous avait plongés dans un univers parallèle mêlant passé et futur de la Russie... et que la fin de ce récit n'est pas des plus réjouissantes ou optimistes... En effet : que constate-t-on : que nous sommes dans une nouvelle ère post-énergétique où l'on doit recourir à nouveau aux forces animales "irréelles" faute de carburant ! des animaux rendus géants ou micronains ... par modification génétique forcément ? Un petit livre qui donne froid.
La 4e de couverture précise : "Le couple classique de la littérature russe (le peuple et
son élite, la seconde voulant éternellement faire le bonheur du 1er et faisant
son éternel malheur) se trouve réuni, fonçant à travers l’espace et le temps dans
ce curieux véhicule, version sorokinienne de la célèbre troïka de Gogol
(Les âmes mortes). "Russie, où cours-tu donc ?" demandait l’auteur des Ames mortes au début du 19e
s".
Bio express : Vladimir Sorokine est né en août 1955 à Moscou, où il réside toujours. Se romans incisifs ne sont pas forcément du goût du pouvoir en place...
Biblio express : Roman 1985-1989 / Le lard bleu 1999 / La glace 2002 / La voie de Bro 2004 / "23000" 2005 / Journée d'un opritchnik 2006 / Le Kremlin en sucre 2008 / La tourmente 2010
Voir aussi :