Karel Capek au pied de mon hellébore rosée |
Karel Capek (1890/1938) était philosophe et écrivain, et surtout passionné de jardinage !
Je conseille vivement ce petit livre de poche à tous les amateurs de jardin : c'est un pur régal. Les chapitres évoquent chacun un mois de l'année du jardin, et les joies et affres du jardinier qui va avec tout au long de cette année.
Ah ! l'impatience du jardinier qui attend l'éclosion des bourgeons au printemps : ce sont des morceaux choisis du livre, succulents.
J'ai adoré les anecdotes sur l'inconvénient d'être grand quand l'on veut jardiner... je partage avec l'auteur ce facteur malencontreux pour le jardinage !
Et les épisodes où, contraint de s'éloigner de sa maison, Monsieur Capek confie son jardin à un voisin qu'il inonde de missives et consignes, c'est d'un cocasse !
A noter que les illustrations en tête de chapitre sont réalisées par le frère de l'auteur.
Quelques extraits pour vous convaincre :
- "Vous ne voyez plus les choses sous le même angle. Pleut-il, c’est pour le jardin qu’il pleut. Le soleil brille-t-il, ce n’est pas assez dire qu’il brille, il brille pour le jardin. Fait-il nuit, vous vous réjouissez : le jardin va se reposer." p.9
- "Un beau jour, il vous arrive de planter de votre main une fleur (dans mon cas ce fut une joubarbe) ; au cours de l’opération, par quelque écorchure ou autrement, un peu de terre pénètre dans votre organisme et détermine une sorte i’inflammation ou d’intoxication ; bref, vous devenez un jardinier fanatique." p.12
- "Les perce-neige aussi sont des messagers du printemps ; de prime abord ce sont des petites pointes vert pâle qui sortent timidement de terre ; ces pointes se séparent pour former de gros pétales et l’affaire est faite. Cela fleurit environ au début de février, et je vous le dis, jamais palme de triomphateur, jamais Arbre de la Connaissance ni laurier de gloire ne fut plus beau que ce blanc et délicat calice qui se balance au gré d’un vent bruineux sur sa tigelle pâle." p.30
De l’inconvénient d’être grand quand on jardine : (A qui le dis-tu cher Karel !!!)
- "Il n’est pas de ces gens qui voudraient ajouter, ne fût-ce qu’un pouce, à leur taille ; au contraire, il se plie en deux, s’assied à croupetons, et se raccourcit par tous les moyens possibles : tel que vous le voyez, il est rare qu’il mesure plus d’un mètre de hauteur." p.36
- "Quiconque n’en a pas fait l’épreuve ne peut se faire une idée de l’embarras que constituent les jambes pour un homme qui ne sait où les poser ; il ne peut s’imaginer comme elles sont inutilement longues quand il faut les plier au-dessous de soi pour creuser la terre avec ses doigts, et comme elles sont ridiculement courtes lorsqu’on a besoin d’atteindre l’autre côté d’une plate-bande sans écraser un tapis de pyrèthres." p.53
Bourgeons : p 47
- "Aujourd’hui 30 mars, à 10 h du matin, la première fleur de forsythia s’est ouverte dans mon dos. Durant trois jours j’ai surveillé son plus beau bourgeon, semblable à une petite cosse dorée, pour ne pas manquer cet instant historique (…)." p.47
- On dit qu’au printemps la nature verdoie ; ce n’est pas absolument vrai car elle se pare aussi de bourgeons roses et écarlates. Il y a des bourgeons d’un pourpre foncé et d’un rouge brutal ; d’autres sont gris et gluants comme la poix, d’autres sont blanchâtres comme le feutre qui recouvre le ventre d’une hase, mais il y en a aussi qui sont violets et fauves ou sombres comme du vieux cuir. Quelques-uns laissent percer de petites pointes, d’autres ressemblent à des doigts ou à des langues et d’autres encore rappellent des verrues.
Les uns s’enflent, deviennent charnus, se couvrent de duvet et sont trapus comme de jeunes chiens ; d’autres poussent des queues hérissées et fragiles.
Croyez-moi les bourgeons sont aussi étranges et aussi divers que les feuilles ou les fleurs (…) Il faut vous arrêter et alors vous verrez les lèvres entrouvertes et les regards furtifs, les doigts mignons et les armes levées à bout de bras, la fragilité du nouveau-né et l’élan agressif de la volonté de vivre ; et c’est alors que vous entendrez gronder tout bas la « marche des bourgeons ».
Voilà, tandis que j’écrivais ceci, le signal, semble-t-il, a été donné ; les bourgeons, qui ce matin encore, étaient entortillés dans leurs langes, ont donné naissance à de petites pointes de feuilles, les tiges de forsythia rayonnent d’étoiles d’or, les plus gonflés des bourgeons de poiriers se sont tendus et sur la pointe de je ne sais quels petits boutons étincellent des yeux jaunes et verts." p.48-49
Le comble du jardinier
- "Le jardinier qui ne cesse d’acheter de nouveaux plants et consterné se demande ensuite où il peut bien leur trouver de la place…"
- "(…) on aura beau faire, aucune révolution n’accélérera la germination ni ne fera fleurir les lilas avant le mois de mai : cette leçon rend l’homme plus sage et fait qu’il se soumet aux lois et coutumes." p 59
- "La terre de jardin ou de culture, appelée aussi humus ou terre meuble, se compose de manière générale de certains ingrédients qui sont : la terre, le fumier, les feuilles pourries, les pierres, la tourbe, les tessons de verres à bière, les plats cassés , les clous, les fils de fer, les os, les flèches hussites, le papier d’étain des tablettes de chocolat, les tuiles, les vieux sous, les vieilles pipes, le verre de vitres, les glaces, les vieilles étiquettes de plantes, les ustensiles de fer-blanc, les boutons, les semelles, les excréments de chien, le charbon, les anses de pot, les cuvettes, les serviettes, les bouteilles, les traverses, les bocaux, les boucles, les fers à cheval, les boites de conserves vides, les morceaux de journaux et d’innombrables autres composants que le jardinier surpris récupère chaque fois qu’il bêche ses plates-bandes." p.85
- "Chaque année apporte davantage de croissance et de beauté. Dieu soit loué, nous aurons bientôt un an de plus." p.152 (dernière phrase du livre)
--> Parmi mes autres lectures en rapport avec les jardins :
- Jean-Jacques Servais : Le jardin des glaces (BD)
- Didier Decoin : Je vois des jardins partout !
- Audur Ava Olafsdottir : Ce que je sais de Rosa Candida
- Vladimir Sorokine : Roman (attention, l'éloge des fleurs champêtres côtoie des scènes terribles dans ce roman distopique)