mercredi 30 avril 2014

M. de Kerangal : "Réparer les vivants"

***** (France, 2014, Collection Verticales/Gallimard, 288 p.)

Ce roman ne traite pas de 24 heures de la vie d’un homme, puisque cet homme est décédé ; il déroule 24 heures de la vie du cœur de ce jeune de 19 ans fauché dans un accident de camionnette en revenant du surf.
L’auteure nous décrit parfaitement ce qu’est la mort cérébrale, illustrant que "les progrès de la médecine ont conduit à donner une nouvelle définition de la mort" et la problématique du don d’organes. L’urgence d’obtenir l’accord de la famille éplorée et sous le choc, d’étudier le fichier des patients en attente d’un organe et d’établir les meilleures correspondances entre le donneur et les receveurs, de lancer la procédure, prévenir les receveurs, préparer l’intervention sur le corps du jeune décédé où 4 équipes se succèderont pour prélever les organes de leur ressort (cœur, poumons, foie et reins).  Le transport des organes vers leur destination finale aux quatre coins de la France, où chaque receveur attend son salut.

L’écriture de Maylis de Kerangal est toujours aussi prenante et belle. J’avais tant aimé "Naissance d’un pont "(2010) que je n'ai pas chroniqué mais qui figure dans mes lectures préférées, un peu moins "Tangente vers l’Est" (2011).

En revanche, si ce n’était pour cette écriture particulière, « Réparer les vivants » m’aurait assez déconcertée. Le thème est particulier, les personnages guère attachants, très « cliniques », et des longueurs m’ont interpellée (comme ces pages sur un personnage aussi mineur que cette Rose, la petite amie du chirurgien Virgilio, qui fracasse tout chez lui à l’annonce du message « urgence don d’organes »).
Le récit regorge de descriptions médicales, et moult détails sur les opérations de prélèvement : c’est certes intéressant, et chapeau pour la recherche documentaire et la maîtrise de son thème par l'auteur (je me suis demandée si elle n'avait pas fait médecine !) mais encore faut-il avoir un certain goût pour la littérature médicale. Je reconnais avoir admiré la maîtrise de son sujet par Maylis de Kerangal quand celle-ci fait allusion à cette île près du Japon où "l'on archive les battements du coeur humain, ces empreintes cardiaques collectées dans le monde entier, déposées ou enregistrées là par ceux qui auront fait tout le voyage" (p.189).

Paru en janvier 2014, "Réparer les vivants" était le roman de l'actualité médicale puisque venait d'avoir lieu la première greffe d'un coeur artificiel sur un patient qui décédera quelques semaines plus tard. Au moment où je finissais ce livre, j'apprenais le même jour qu'une nouvelle demande d'autorisation pour reprendre l'essai d'implantation d'un coeur artificiel "bioprothétique" était déposée.

Avec ce livre, j'ai eu l'impression de lire un documentaire sur la transplantation cardiaque, plutôt que de m'évader en lisant un roman, ce que je cherchais davantage. En conclusion, je pense que j’aurais fort bien pu me passer de cette lecture, qui a pourtant été couronnée du Grand Prix RTL-Lire et du prix "Roman des étudiants France Culture-Télérama"…

Extrait : "L’arrêt du cœur n’est plus le signe de la mort, c’est désormais l’abolition des fonctions cérébrales qui l’atteste. En d’autres termes : si je ne pense plus alors je ne suis plus. Déposition du cœur et sacre du cerveau - un coup d’Etat symbolique, une révolution." (p.44)

samedi 19 avril 2014

"Impressionnistes en privé" : Eva Gonzalès et Mary Cassat... impressionnantes

Eva Gonzalès : Le Moineau
Intéressante expo que celle présentant, au Musée Marmottan-Monet, 100 oeuvres impressionnistes prêtées par une cinquantaine de collectionneurs privés : des oeuvres que le quidam du coin a donc peu de chance de pouvoir admirer deux fois dans sa vie. 70% des oeuvres présentées sont inédites (expo jusqu'au 06/07/2014).

Cette expo m'a révélé, entre autres, deux pépites, deux coups de coeur absolus... par deux femmes peintres:
  • Mary Cassatt : "Portrait de Anne-Marie Durand-Ruel" (pastel sur toile, vers 1908) : le portrait d'une fillette en robe rouge et chapeau, avec ses deux tresses de cheveux "en boudin" : si beau et saisissant que l'on dirait une photo
    (A propos de Mary Cassat : "Lydia Cassat lisant le journal du matin")

Il me semble que c'étaient les deux seules oeuvres représentées pour ces deux artistes exceptionnelles. Dommage.
Mais d'autres artistes nous réservaient aussi de très belles surprises. Pour moi, ce furent ainsi : 
  • de magnifiques Sisley, avec la lumière qui fuse, qui explose sur la forêt et le ciel, un bonheur... 
  • Idem pour Monet ("Bras de la Seine près de Vétheuil" 1878, "Bord des falaises de Pourville", "Hémérocalles au bord de l’eau"). Des tableaux lumineux, et si beaux. 
  • "Le Bar aux Folies Bergères" d’Édouard Manet : la lumière qui émane de la serveuse, resplendissante... Et j'ai enfin pu constater de visu le parallèle entre ce tableau et le "New York Movie" d'Edward Hopper
  • Le très grand et impressionnant tableau "La Terrasse à Méric" de Frédéric Bazille, ce jeune peintre mort pendant la guerre de 1870. 
  • la sculpture de Degas en bronze : "Petite danseuse de quatorze ans" (vers 1879-1881), avec son tutu qui ressemble à un pagne...
  • "Les Dahlias, le jardin du Petit-Gennevilliers" (1893), "Intérieur, femme à la fenêtre" (vers 1880) de Gustave Caillebotte. Les premiers Caillebottte auxquels je prête aussi attention, pour la première fois de ma vie, habitant pourtant à deux pas de la maison Caillebotte (pour réparer : au programme l'expo Caillebotte prochainement et en famille SVP).
 Jeunes filles au bord
de la mer (
Renoir)

Les Boudin, Corot, certains Pissaro, Degas, Pierre-Auguste Renoir (mention spéciale cependant au "Madame Renoir et son chien" et aux "Roses et pivoines dans un vase"), Jongkind m'ont un peu moins tendue la main, si je puis dire, ou si je puis faire ma chochotte.

Et toujours dans ce joli musée Marmottan-Monet, la collection de nymphéas de Monet et les tableaux de Berthe Morisot, dont mon préféré, les "Roses trémières" (1880). Et le sublime portrait de Berthe Morisot peint en 1882 par Manet. Voir : "Journal de Julie Manet, fille de Berthe Morisot et Edouard Manet"

--> Voir la rubrique "Expos" ou la chronique plus spécifique "peinture"...

J'ai vu un agneau la semaine de Pâques

Aperçu dans la rue, en cette semaine pascale, un agneau Street art... qui se moque bien des religions : dans tous les cas , il va passer à la casserole, façon brochettes ou gigot de Pâques.

(Tiens, cela me fait venir une pensée pour Shawn, l'adorable mouton de Wallace et Gromit.)

--> Tag "Street Art"

lundi 14 avril 2014

Eels... Smell the Peach blossom, the Tiger Lily, the Marigold...

Fou. 


Anders Nilsen : affiche Eels
pour Rock en Seine 2013
Chronique jardin laissée orpheline quasiment depuis un mois. Never happened before.

Jardin lui-même un peu délaissé jusqu'à ce weekend où un travail d'arrache-pied (de liserons et autres indésirables) a permis d'y voir clair dans les plates-bandes. Et encore...

Ce printemps, même pas eu le temps de m'arrêter, béatement, sur chaque nouvelle tulipe ou jacinthe en fleur... J'ai constaté ce week end que les tulipes étaient fanées, sans que j'aie pu vraiment les contempler et les admirer en plein épanouissement (oui, en temps normal, avec du temps, je suis "béate" devant mes fleurs en fleurs, 'y a pas d'autre mot !). Pas une photo à date des tulipes de cette année : shameful.

Bon, inscrire dans ma To Do List : ne pas oublier de se rattraper le printemps prochain.

Alors pour me faire pardonner, c'était il y a un an : le concert de Eels à Paris : la chanson sur l'éclosion du printemps "Peach Blossom", de l'album Wonderful Glorious le bien nommé


EELS - Peach Blossom video (Paris/Trianon, 25 April 2013)

"Oh man... feels so nice.
That was a long cold night,
But then the sun came out to thaw the ice.
Open the window man and smell the Peach Blossom,
The Tiger Lily, the Marigold."

  NB : Tiger Lily = Lys = Lilium lancifolium
  et  Marigold = Souci = Ringenblume   = Calendula




Et les nouvelles : Eels / Mr E. va sortir un nouvel album... the upcoming EELS album "THE CAUTIONARY TALES OF MARK OLIVER EVERETT" (out April 22)

"Dans l'ombre de Charonne" : Un récit graphique pour ne pas oublier

***** Désirée et Alain Frappier - 2012 (Editions du  Mauconduit, 136 p.)
Très très beau et sombre récit graphique en noir et blanc.

D'abord tout commence par la préface passionnante et édifiante de Benjamin Stora...

Ensuite, nous sommes emportés aux côtés de Maryse au fil de pages, tellement intéressantes... et  sur tant de sujets... (y compris l'exode des juifs égyptiens au moment de la guerre israélo-arabe, l'attente des papiers en France...), et même le quotidien des lycéens français des années 60... 

La plaque "Place du 8 février 1962" a été apposée
par la RATP  sous le nom de la station Charonne en février 2014
Une leçon d'histoire dans chaque case dessinée sans que cela paraisse : 
C'est le signe d'une reconstitution admirable de l'époque, oui, et des événements qui ont conduit aux 9 morts du métro Charonne. Conduit aujourd'hui, 52 ans plus tard, à ce que cette station de métro de la ligne 9 soit rebaptisée en "Charonne, Place du 8 février 1962".

Pour moi, qui a pourtant étudié la science politique et l'histoire, il y a sur cet événement de Charonne un avant et un après la lecture de ce roman graphique.

Avant ? Charonne sonnait comme une vague référence à un événement douloureux de l'histoire de France... C'était dans mes "révisions" de cours, j'avais appris la date et la raison de la manif...  La date de la manif des travailleurs algériens du 17 octobre 1961 contre le couvre-feu imposé par le préfet Papon forcément fut mise en lumière pendant le procès Papon fin des années 90. 
Mais je n'aurais même pas pensé que le 8 février 62, des gens avaient péri écrasés dans les escaliers du métro. Que les policiers avaient jeté sur eux les grilles en fonte qui bordent les arbres.
Et pourtant j'emprunte chaque jour le trajet me jetant à deux stations de là... Deux stations sans savoir ce qui se passa dans ces escaliers le 8 février 1962... 

L'ouvrage de Désirée et Alain Frappier ouvre les yeux, au-delà de tous les cours de sciences po ou autres que l'on a pu recevoir : les années lycée en parallèle avec la guerre d'Algérie, certes, mais ensuite, le crescendo des événements, la France quasi coupée en deux, les associations, les débats à l'école et au bar du coin, et puis la manif. Cette foule pacifique, qui a marché et marché puis qui, le soir tombé, pense (un brin lassée) genre "mal aux pieds dans ces chaussures, il est temps de rentrer...". 
Combien l'ouvrage décrit incroyablement et horriblement, comme si on y était, l'appel tranquille à la dispersion, puis la déconnexion entre manifestants/syndicats et police, la charge de la police, la furie, la débandade, les chaussures et sacs abandonnés, les corps piétinés et paniqués qui cherchent à se réfugier dans la seule voie de secours qui s'offre à eux  : la goulue bouche du métro Charonne.

"Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Écrasés l´un contre l´autre
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne" (La foule, Edith Piaf)

Evidemment, chaque station de métro a sa propre histoire. Mais croiser la station Charonne mérite de se questionner sur les événements de 1962. Il faut lire "A l'ombre de Charonne" pour comprendre simplement.


Le résumé sur le site de l’éditeur (Editions du Mauconduit) :  
"Maryse, une jeune lycéenne de 17 ans, décide de participer avec ses copains de lycée à une manifestation contre le fascisme et pour la paix en Algérie. Nous sommes à Paris, en 1962
Après 8 ans de guerre, l’indépendance de l’Algérie devient inéluctable. L’OAS, regroupant dans ses rangs les fervents défenseurs du dernier bastion d’un empire colonial agonisant, multiplie les attentats à la bombe sur la capitale. Le 8 février, après 14 attentats, dont un blessant grièvement une petite fille de quatre ans, des manifestants se regroupent dans Paris aux cris de « OAS assassins », « Paix en Algérie ». La manifestation organisée par les syndicats est interdite par le préfet Maurice Papon. La répression est terrible. La police charge avec une violence extrême. 
Prise de panique, Maryse se retrouve projetée dans les marches du métro Charonne, ensevelie sous un magma humain, tandis que des policiers enragés frappent et jettent des grilles de fonte sur cet amoncellement de corps réduits à l’impuissance. Bilan de la manifestation : 9 morts, dont un jeune apprenti, et 250 blessés.
50 ans plus tard, Maryse Douek-Tripier, devenue sociologue, profondément marquée par ce drame dont elle est sortie miraculeusement indemne, livre son témoignage à Désirée Frappier. C’est une véritable histoire dans l’Histoire à laquelle nous invite l’auteur, restituant ce témoignage intime dans son contexte historique et tragique, tout en nous immergeant dans l’ambiance des années soixante : flippers, pick-ups, surboums, Nouvelle Vague, irruption de la société de consommation."

--> Voir aussi l'interview des deux auteurs sur http://www.histoire-immigration.fr/magazine/2014/3/dans-l-ombre-de-charonne 

... et des mêmes auteurs, Désirée et Alain Frappier : un autre excellent ouvrage, je ne dirais pas plus léger car le poids de l'histoire est là aussi, mais plus proche et quand même teinté d'une juste et délicieuse dose d'humour  :  "La vie sans mode d'emploi, Putain d'années 80 !"

Citizens ! nouveau groupe londonien à déguster frappé

Jeune groupe londonien qui a joué en 1e partie de Franz Ferdinand le 10 mars 2014 au Zenith de Paris...
Pas n'importe qui !

5 jeunes musiciens emmenés par le chanteur Tom Burke, à la voix assez unique, haut perchée, qui fait penser à Pavlov’s Dogs (un compliment donc !).

Le groupe est produit par… Alex Kapranos, qui a le nez fin pour flairer les hauts potentiels. En plein concert des Franz Ferdinand, il a d'ailleurs dédié "Lucid Dreams" à Citizens !

Sur scène, Citizens ! a interprété 7 morceaux dont 3 nouveaux issus de leur prochain album (sortie prévue en 2014) et 4 chansons du 1er album "Here We Are" (2012) : 
- Reptile (2e), 
- Caroline (3e), 
- True Romance (6e) 
- (I'm In Love With Your) Girlfriend (7e).
Le public ne semblait pas trop les connaître non plus (comme nous) mais peu à peu s'est laissé gagner par les mélodies entraînantes et la voix particulière du chanteur.

Les InRocks avaient classé leur tube True Romance au 10e rang des 100 meilleures chansons de 2012.

NB : ils font aussi l’actu grâce à leur reprise de Feeling good pour la pub Sosh et leur chanson Reptile pour Sodebo.

Vous ne connaissez pas encore Citizens ! (comme moi avant le 14 mars), eh bien ne perdez pas une seconde et foncez sur le site officiel du groupe  http://www.citizenscitizens.com/videos/  qui présente 3 vidéos différentes de True Romance dont le clip de High5collective, et une vidéo de Reptile et de Caroline. De super chansons, vous verrez, on devient accro !

NB : Même l'écrivain Christophe Ono-dit-Biot connaît et apprécie Citizens ! dont il cite quelques paroles de "Reptile" dans son dernier roman "Plonger" sorti en 2013.

--> chronique "musique / concerts"

dimanche 13 avril 2014

H. Grémillon : "La garçonnière"

***** Réf. géogr. France / Argentine (2013), Ed. Flammarion, 356 p.

Happée par ce livre...
Cela se passe à Buenos Aires, fin des années '80, sous la présidence de Raul Alfonsin, qui, ai-je appris grâce à ce livre, est à l'initiative des deux lois "Punto final" (impunité aux militaires) et "Obéissance due" ("qui absout aussi les militaires de rang inférieur au nom de principe hiérarchique") p.143 .

Je dirais que c'est l'histoire de deux femmes :

- Lisandra, la jeune épouse du psychanalyste Vittorio Puig, que l'on ne connaîtra que morte défenestrée dès le début du roman ;
- Eva Maria, une patiente du même psychanalyste, mère d'un garçon Esteban qu'elle délaisse car trop confinée dans la perte de sa fille Stella qu'elle suppose "desaparecida", jetée d'un avion dans le Rio de la Plata par la junte argentine.

Le roman est finement bâti autour du suspense de la mort de Lisandra. D'office, le mari est soupçonné, et d'office la patiente Eva Maria prend fait et cause pour le défendre et mène sa propre enquête, en commençant par écouter les enregistrements du psy avec chacun de ses patients.
Aussitôt le roman m'a fait penser à celui de l'auteure iranienne Chahdortt Djavann : "Je ne suis pas celle que je suis", que j'avais beaucoup apprécié. Je n'ai cessé de dresser des parallèles entre les deux récits au fil de ma lecture, cela m'a intéressée.

Revenons à "La garçonnière" : certains enregistrements qu'écoute Eva Maria sont si troublants... Ce Miguel grand pianiste racontant ses séances de torture. Ce Felipe qui s'embrouille dans ses propos et dont on devine qu'il a collaboré avec la junte et adopté un bébé volé à des "desaparecidos"...
Eva Maria analyse à son tour et entrevoit d'éventuels coupables. Mais son enquête la mène à des révélations ambiguës sur le couple que formaient Vittorio et Lisandra. "Un desamor". Elle s'interroge sur la relation entre le mari psy et la magnifique danseuse de tango...

Impossible d'en dire plus. 
Les amateurs de suspense psychologique seront ravis, voilà tout.
Et le roman livre des pans de cette page douloureuse de l'histoire argentine. 
Et des séquelles de l'enfance qu'il apparaît impossible d'enfouir quelque part.
On ne comprend le titre qu'à la fin, c'est glaçant.

J'ai hâte de lire le précédent et premier roman d'Hélène Grémillon, "Le confident". 

(Le plus people : ça alors, la belle Hélène (36 ans) est l'épouse de notre Julien Clerc national !)

vendredi 4 avril 2014

P. Deville : "Peste et choléra"

***** (2012) Ed. Seuil / Fictions & Cie, 228 p. - Réf. géogr : France / Vietnam / Cambodge / Suisse...
Prix Femina 2012 & Prix du roman Fnac 2012


Une lecture un peu ardue mais passionnante, qui conte la vie d'un scientifique aux semelles de vent, sur 8 décennies (né en Suisse en 1863, mort en 1943 à Nha Trang au Vietnam) à cheval sur deux siècles.
Ce roman biographique catapulte le lecteur à travers le 20e siècle et de par les contrées les plus exotiques et encore méconnues. 

80 années au service de la science et de la médecine (Yersin a découvert le bacille de la peste à Hong Kong et inventé le vaccin contre la peste). 
Mais l’homme est insatiable et brillant. A peine a-t-il avancé dans quelques recherches que l’ennui s’installe et qu’il se passionne déjà pour une nouvelle activité. Ainsi, médecin à bord des Messageries Maritimes françaises en Indochine, il apprécie de jeter l’ancre pour étudier la terre ferme, les peuples des montagnes, les contrées nouvelles.

Au fil des ans, il éclate son carcan de scientifique biologiste épidémiologiste et se fait grand voyageur, ethnologue, géographe, botaniste et cultivateur, éleveur (il importe et acclimate nombre d’espèces végétales et animales en Indochine : son expérience avec les poules est savoureuse).
« Parce qu’il aime les œufs, parce qu’il aime sa sœur (NB : qui élève des poules en Suisse), Yersin voudrait savoir comment avec du jaune et du blanc d’œuf on obtient un bec, des plumes, des pattes, bientôt dans l’assiette l’aile ou la cuisse et parfois des frites. » (p.148)
Puis il étudiera l’astronomie, se fatiguera de cet équipement massif sur le toit et passera à la météorologie, à l’étude des marées, il tâtera du télégraphe aussi… Yersin se fera même architecte et dessinera son paradis tropical à Nha Tran, au nord de Saïgon, face à la mer de Chine, où il coulera ses vieux jours assis sur sa terrasse dans son fauteuil en rotin, à traduire pour le plaisir les auteurs grecs et latins. Mais, avant cela, il sera aussi passé par la case « génie civil » pour bâtir l’infrastructure nécessaire pour accéder à son refuge verdoyant mais isolé.

Tout cela est passionnant, et ce d’autant que l’auteur déroule son récit avec en toile de fond les événements de l’Histoire, scientifiques (les découvertes pasteuriennes et la compétition avec l’allemand Koch…), politiques (la colonisation et le congrès de Berlin, l’affaire Dreyfus, l’assassinat de Jaurès, la première guerre mondiale, la République de Paul Doumer, le toboggan qui glisse vers la seconde guerre…), et le progrès (il sera familier des voyages aériens « dans la petite baleine blanche » d’Air France). 
Yersin fera d’abord de la bicyclette son dada, puis importera la 1e automobile en Indochine, il correspondra avec Lumière en photographie et sera l’un des premiers si ce n’est le premier à photographier la Baie d’Along (si j’ai bien suivi !). 
Or, qui dit auto et vélo, dit pneus… Notre savant sera fasciné par la vision de son premier hévéa à Nossi-Bé à Madagascar : et hop ! d’étudier la culture de l’hévéa, de l’adapter en Indochine et pour ne pas s’arrêter là, de devenir le plus grand producteur de caoutchouc de la région et un familier de Michelin. 
La quinine ? Idem, passion soudaine, développement de la culture et, même, précurseur de la célèbre boisson Kola (son Kola-cannelle) dont il n’a jamais déposé le brevet.
C’est aussi quelqu’un aux centres d’intérêt les plus simples : les cerfs-volants, les orchidées et les perruches… qui égaient la vie de cet homme tellement ascétique. Il parvient à acclimater dans son paradis de Cochinchine hibiscus, amarantes, amaryllis, becs-de-perroquet, oeillets, arums, cyclamens, fuschias... mais échoue à faire fleurir tulipes, narcisses, giroflées et jacinthes...

Au fil du siècle et du récit, l’auteur amène sur notre chemin d’autres grands hommes : Rimbaud dont l’histoire est mise en parallèle avec celle de Yersin, Livingstone (le héros de Yersin), Lyautey, Doumer, Pasteur et la bande des pasteuriens (Calmette : le "C" du BCG, Roux, et même étonnamment un certain Louis-Ferdinand Destouches qui lâchera la médecine pour l’écriture), Pierre Loti, Joseph Conrad, Ho Chi Minh, James Joyce, Jules Vernes… Vous l’aurez remarqué : aucune femme n’est citée ! En effet, Yersin n’aura que deux femmes dans sa longue vie : sa mère et sa sœur. Les autres femmes, il les qualifie facilement de « guenons » dans sa correspondance…

Mais il est vrai que le roman de P. Deville est loin de présenter Yersin comme un humaniste : on découvre un homme solitaire, misanthrope, allergique à la Politique et insensible aux Arts. Et qui, c’est le moins que l’on puisse dire, vit à distance et avec distanciation les horreurs du 20e siècle. Le lecteur a peine à trouver en lui un personnage sympathique et chaleureux !

De fait, le style littéraire adopté par l’auteur fait miroir avec la personnalité asociale de Yersin : un style sans aucun dialogue, fait de phrases courtes parfois sans verbe, et totalement dépourvu d’émotion, de sentiments. Pourtant cela n’empêche pas de superbes descriptions des paysages d’Indochine.
Personnage surprenant : Il demeure pourtant libre et désintéressé malgré toutes ses inventions et la richesse que lui procurent ses plantations industrielles. Yersin n'est autre qu'un "anachorète retiré au fond d'un chalet dans la jungle froide, rétif à toute contrainte sociale, la vie érémitique, un ours, un sauvage, un génial original, un bel hurluberlu." (p.211)

Je recommanderais les yeux fermés ce livre à tous lecteurs… sauf qu’une mise en garde de taille s‘impose : aucune chronologie dans le roman, qui, d’un chapitre à l’autre saute d’un Yersin de 20 ans au vieil homme en fin de vie et vice-versa. La lecture suit d’incessants flashbacks et peut se révéler très fastidieuse, je l’ai moi-même testé ! L'auteur ne donne pas toutes les clés au lecteur : pas de dates, pas de linéarité chronologique, un voyage dans des contrées qu'il ne nous aide aucunement à situer.
Donc A LIRE si vous êtes téméraire (soit : ouvert à un style neutre et doublé d'une construction déroutante sans aucune chronologie) et avez le goût des voyages lointains. Sinon, cramponnez-vous à la barre : lecture houleuse ! (Personnellement, je l'ai lu deux fois d'affilée : une fois avec intérêt mais en progressant laborieusement, puis la 2e fois relu en "lecture rapide", le tout m'a permis de vraiment savourer le récit).

mardi 1 avril 2014

Le printemps sonne le 20 mars jusqu'en 2044

Le printemps a fait son entrée officielle dans notre calendrier le 20 mars dernier.

Tiens, me suis-je dit, quelque administration a encore trouvé bon de nous changer la date, adieu le 21 mars qui me servit de repère pendant de longues années...

Eh bien non, c'est la nature qui décide ! Elle choisit entre le 19, le 20 et le 21 mars... Tout dépend de la date de l'équinoxe... qui dépend de l'inclinaison de la planète, laquelle peut varier d'une année sur l'autre en fonction des irrégularités du mouvement terrestre.

Et tenez-vous bien, faites vos comptes : les scientifiques prévoient que le printemps continuera de débuter un 20 mars jusqu'en 2044. De 2044 à 2102, on passera au 19 mars, et après cela, au 21 mars (mais ça nous sera égal, on sera en train de déguster les racines de pissenlit).

NB : Je dis à mon petit journal du métro qui fourmille de petites infos... capitales ! (Direct Matin, ce matin-là)

J. Diaz : "La brève et mystérieuse vie d'Oscar Wao"

"The Brief Wondrous Life of Oscar Wao" (2007) - Réf. géographique : EU / République dominicaine. Ed. Plon, Trad. L. Viallet, 295 p.

Abandon définitif page 29 : je ne me suis pas du tout faite au style (familier, djeune, verlan... : l'aurais-je lu en VO que je n'aurais vraiment rien compris). Et dire je me régalais à l'idée de lire un roman sur la République dominicaine...Certes, on peut parler d'invention littéraire pour ce livre ovni, mais vraiment pas mon registre...
Et pourtant il s'agirait d'après Le Monde d'une "fresque extraordinaire"... 

Pour ceux qui veulent quand même une mise en bouche, le roman débute ainsi :
"Notre héros, c'était pas un de ces lascars dominicains dont tout le monde tchatche - c'était pas un as de la batte ou un bachatero choucard, ni un bogosse avec un milliard de bombax scotchées au slibard.Et à part une brève période au début de sa vie, il a jamais trop eu la cote avec les meufs, le mec (ce qui était particulièrement peu dominicain de sa part). Il avait sept ans alors." (p.7) 
"(Il) n'avait aucun des Supers Pouvoirs du mâle dominicain de base, aurait été incapable de pécho une meuf, même si sa vie en avait dépendu. Infoutu de faire du sport ou de jouer aux dominos, moins coordonné tu meurs, lançait la balle comme une gonzesse. Pigeait rien à la ziq, au biz, à la danse, pas de bagout, pas de tchatche, pas de leust. Et pire que tout : pas bogosse." (p.28)


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