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Eduardo Manet : "Le fifre" et portrait d'Eva Gonzales par Manet |
***** (2011) - Réf. géogr :
France / Cuba / Espagne - Genre :
Biographie et découverte d'une peintre de talent
Eduardo Manet, cet auteur cubain que j'apprécie beaucoup, raconte dans son dernier roman
Le fifre comment il a découvert qu'il était le
petit-fils du peintre français Edouard Manet.
Le roman retrace la (courte) vie de
sa grand-mère, Eva Gonzalès (1849-1883), qui fut une des rares femmes peintres de l'époque, aux côtés de sa
rivale Berthe Morisot (1841-1895). Rivales car les deux femmes furent toutes deux des muses du peintre Edouard Manet (1832-1883).
"
Les femmes aimaient Manet et Manet aimait les femmes." (intro du roman).
Eva Gonzalès bénéficie de l'appui précoce de sa famille pour développer ses talents de peintre. Elle est douée, à 12 ans elle se passionne pour les dessins de Goya (hum, je n'arrive toujours pas à succomber aux oeuvres de Goya qui ne font que m'effrayer sans me captiver, sorry...).
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Eva Gonzales :
Autoportrait
(vers 1880)
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A 20 ans, Eva devient l'élève unique de Manet, un temps chaperonnée pour les séances par sa soeur Jeanne, puis seule à seul avec le peintre... Ce peintre sulfureux qui a représenté dans
Le déjeuner sur l'herbe une femme nue étendue aux côtés de deux messieurs. (NB: je n'aime pas non plus ce tableau que le monde s'arrache ! sorry bis)
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Eva Gonzalès : Portrait d'une jeune femme 1879 |
La famille Gonzalès, issue de la grande bourgeoisie monégasque et espagnole, appartient au cercle des gens cultivés et aisés. Le père, Emmanuel Gonzalès, romancier, présida la Société des Gens de Lettres.
Le roman nous plonge au coeur de la vie sociale des artistes de l'époque, le
Second Empire, et nous croisons avec intérêt Fantin-Latour, Edgar Degas "le cynisme élégant", "le vieux" Gustave Courbet, Alfred Stevens "le perfide Wallon", Alfred Sisley "le perfide Anglais", le photographe Nadar, Camille Pissaro, Monet, Renoir, Paul Cézanne, Emile Zola...
Eva Gonzalès expose ses premières toiles
en 1870 au Salon du Grand Palais. Eclate la guerre avec la Prusse. Le jeune peintre Frédéric Bazille est tué au front. La capitulation de Paris, le siège, la famine, l'exode. Puis La Commune, écrasée, 17.000 fusillés, des milliers de déportés.
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Enfant de troupe 1870 |
Le tableau d'Eva intitulé Enfant de troupe (1870) est inspiré du Fifre de Manet qui prête sa couverture au roman, du reste. L'Etat achète le tableau d'Eva. Je n'aime ni l'original, ni la copie inspirée : le sujet ne me sied point voilà tout (cf. photo). En réfléchissant au choix d'Eduardo Manet de retenir le tableau
Le Fifre de Manet, comme titre et couverture de son roman, je pense qu'il se reconnaît simplement dans l'allusion au (premier ?) fils illégitime de Manet qui aurait posé pour ce tableau, son père étant le deuxième fils illégitime du peintre.
En
1872, Eva découvre qu'elle porte l'enfant d'Edouard Manet. Elle se réfugie en Espagne chez sa Tante Tia Dolores pour donner naissance à cet enfant illégitime, qui sera élevé par la riche tante. Cet enfant qui est le père de notre romancier cubain.
De retour à Paris, elle reprend ses cours auprès du maître Manet, réalise nombre de tableaux. Son talent est reconnu en Belgique : "
Chacun s'émerveille de trouver dans une très jeune artiste tant de tempérament, une si extraordinaire vision du monde réel, une virtuosité si présente et des qualités qui, tout en la rangeant dans l'école de Manet, la rendent par certains côtés supérieurs au maître même." Puis Londres... Chaque année, la peintre prépare de nouvelles toiles pour le Salon.
Le roman décrit la guerre des deux Salons de peinture à Paris : le Salon officiel et le salon des Refusés, et la gestation de ce qui va devenir l'association des Impressionnistes, dont Berthe Morisot sera la seule représentante féminine. Eva Gonzalès continuera d'exposer au Salon officiel.
La jalousie est toujours de mise entre les deux femmes peintres. Quand le tableau de Manet "Le repos" qui montre Berthe Morisot sur un canapé, est retiré du Salon de 1874 car jugé tendancieux (!), Eva Gonzalès exulte :
"- Tu sais Jeanne, j'avais l'intuition (...) que ce portrait de la Morisot proposant son corps à l'artiste éveillerait la répulsion des gens honnêtes !
- Eva, s'il ne s'agissait pas de Berthe Morisot, tu serais furieuse contre le jury et le public du salon." (p.220)
En
1878, ce sont les deux soeurs Gonzalès, Jeanne et Eva, qui exposent au Salon (officiel), alors que l'oeuvre de Manet est encore refusée ! Cette même année, Edouard Manet ne peut plus cacher la douleur que lui cause l'une de ses jambes.
1879 : Eva Gonzalès (30 ans) épouse le peintre graveur Charles Henri Guérard, ami proche de Manet, qui est témoin au mariage.
En mai 1883, Eva accouche d'un petit Jean-Raymond Guérard, le jour où Manet est amputé de sa jambe. Quelques jours plus tard, le peintre meurt ravagé par cette maladie, la syphilis, qu'il avait contractée dans sa jeunesse.
Et à nouveau quelques jours plus tard (6), Eva Gonzalès, à 34 ans, décède d'une embolie alors qu'elle confectionnait une couronne mortuaire pour E. Manet. "Eva est
morte foudroyée d'amour".
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Eva Gonzales : Sous le berceau (1879/1880) |
Une coïncidence :
J'ai visité l'expo consacrée à Berthe Morisot au musée Marmottan, au printemps / merci Isa ;)) . J'ai acheté et commencé à lire la biographie que Dominique Bona a consacré à Berthe Morisot. Et, en vadrouille le samedi à la bibliothèque (comme quasi tous les samedis ! y'en a qui font le marché, moi je fais mon marché de livres), mon regard tombe sur le livre d'Eduardo Manet intitulé
Le fifre.
Je me fais alors la réflexion que ce titre est peu seyant d'une part, et la couverture idem d'autre part ! Je ne touche même pas au livre.
La semaine suivante,
Le fifre est toujours sur le présentoir. Par égard pour le romancier cubain que j'apprécie, je fais l'effort de lire la quatrième de couverture : ô surprise, il est question des peintres Manet et Eva Gonzalès... contemporains et proches de Berthe Morisot.
Voici comment j'ai découvert l'existence de cette jeune femme peintre Eva Gonzalès, dont je trouve les tableaux très beaux et expressifs. Et dont je n'avais jamais entendu parler auparavant.
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Eva Gonzales : Le réveil (1876) |
Des tableaux qui me plaisent parfois bien plus que des chefs d'oeuvre adoubés d'artistes masculins contemporains.
Je ne suis hélas pas du tout en mesure de commenter la force ou la légèreté du trait, l'usage des couleurs etc. (en dépit d'une
grand-mère, et de
grand-tantes douées en peinture aujourd'hui décédées : que n'ai-je eu l'occasion de discuter de ces femmes peintres avec mes aïeules...).
Je me fie simplement à mon impression générale quand je découvre ces tableaux.
Ainsi, le tableau "
Le réveil" ci-contre : qu'a-t-il à envier à d'autres chefs d'oeuvre ? Il est réaliste, sensible, magnifique, et fut acheté par le musée de Brème en Allemagne.
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Eva Gonzales : Plage de Dieppe vue depuis la falaise Ouest (1871) |
A présent, je guetterai avec ferveur toute expo mettant en avant cette formidable peintre. Sa reconnaissance officielle, posthume, en tant que grande artiste a lieu lors de l'Exposition Universelle de 1900 à Paris, où deux de ses tableaux, Une loge aux Italiens (visible au Musée d'Orsay) et L'indolence (collection privée) sont plébiscités par le public.
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Eva Gonzales :
Nounou avec enfant (1877/78) |
Le tableau "Nounou avec enfant" a été acheté en 2006 par la National Gallery de Washington.
Ce serait l'un des meilleurs tableaux d'Eva G. qui rend dans cette toile toute l'étendue de sa maîtrise technique: "composition structurée, cadrage asymétrique avec profil perdu de l'enfant, intégration des figures en habits modernes dans un paysage, touche fougueuse, réalisme des plantes et des tissus, étude vibrante de la lumière". (
La Tribune de l'Art)
Mon appréciation sur le roman "Le fifre" écrit par Eduardo Manet :
Un petit bémol pour l'écriture que j'ai trouvé laborieuse, poussive, manquant d'aisance et d'entrain, contrairement aux autres romans que j'avais lus de cet auteur.
Le roman fait la part belle aux cahiers intimes de Jeanne Gonzalès, la soeur d'Eva, peintre également. Eduardo Manet explique avoir hérité de ces cahiers à la mort de son père. Je me suis demandé quelle était la part du romanesque et de l'authentique dans la restranscription de ces cahiers.
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Eva Gonzales : Le thé |
Malheureusement pour le roman, l'édition dispo en bibliothèque regorgeait de fautes et erreurs de transcription (rien que le dos de couverture : Eva Gonzalès rencontrant E. Manet en...
1969, un siècle d'erreur !): gênant quand même en 2012 d'avoir l'impression qu'il n'existe plus de lecteurs correcteurs avant publication. Mais le sujet m'intéressait...
L'auteur, je l'apprécie, et j'ai découvert une artiste peintre du Second Empire formidable... Il était temps ! Mais comme quoi de nos jours toutes les découvertes sont permises quel que soit l'âge.
A présent, j'ai terminé la biographie de Dominique Bona sur Berthe Morisot.
J'entame le journal de Julie Manet, la fille de Berthe Morisot et Eugène Manet, le frère d'Edouard. J'ai l'impression d'être devenue une familière de tous ces artistes du Second Empire, de leurs espoirs et succès, de l'Histoire de cette période. Et surtout de la difficulté pour une femme d'être reconnue peintre professionnelle au même titre que leurs confrères.
Voir aussi sur ce blog :
--> "D'Eva Gonzalès à Federico Zandomeneghi", un article rectificatif que je dois à un blogggeur expert en impressionnisme !
--> "Le journal de Julie Manet" (fille de Berthe Morisot et Eugène Manet)