dimanche 31 janvier 2021

Eric Plamondon : "Oyana" (Québec)

 ***** (Ed. Quidam, 2019) - « Pour toi Xavier, je te dois un tas d’explications. »

Allez zou, je poursuis dans la veine de mes lectures québécoises et la découverte d'un auteur très intéressant, Eric Plamondon (mince c'est dur d'écrire Eric et pas Luc, je sais, commentaire niaiseux mais c'est comme ça 😜).
Après "Taqawan" (chroniqué hier) qui comportait un saumon stylisé en couverture, voici dans le désordre, car lu cet été, "Oyana", avec cette fois-ci une baleine stylisée.
D'abord je n'ai pas lu ce livre, je l'ai avalé. Parce qu'il est certes très court (150 pages) mais aussi parce que j'avais envie de connaître l'issue de cette drôle d'histoire pas piquée des hannetons. Et puis, l'intérêt était décuplé parce que je lisais ce roman en vacances sur la côte basque, marchant presque dans les pas des protagonistes entre San Sebastian, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, la Rhune... (mais aussi Montréal...).

Nous sommes en 2018 à Montréal. Nahua, d'origine mexicaine, mène sa petite vie, traductrice mariée depuis une vingtaine d'années à un médecin qui court les congrès. Pas d'enfant. Pas d'autre famille. Un quotidien où l'amour a perdu son grand A.
Quand tombe une info qui lui fait l'effet d'une bombe : l'annonce de la dissolution de l'ETA (!).
Patatras, Nahua s'efface pour faire place à Oyana, cette française née au pays basque en décembre 1973, jour de l'attentat contre le bras droit de Franco, et contrainte à l'exil et à la clandestinité depuis justement une vingtaine d'années.

Le petit train de la Rhune (08/2020) avec une vue saisissante des nuages
et ces parterres fascinants de mousses et lichens
Pour Oyana, ce communiqué annonçant la fin de l'organisation terroriste basque sonne la fin de l'exil et le retour à la liberté. Ayant pris la décision de rentrer chez elle au pays basque...

 "Etrange d'imaginer que j'allais revoir la plage de Saint-Jean-de-Luz, le fort de Socoa, la digue de l'Artha, la colline de Sainte-Barbe et les surfeurs qui profitent des vagues du golfe de Gascogne. Tout comme le sommet de la Rhune, les Deux jumeaux  à Hendaye, la route de la corniche."

... elle entreprend d'écrire une lettre à son mari dans laquelle elle lève le voile sur sa vie de mensonges, l'identité qu'elle a usurpé, la culpabilité qui la ronge depuis tout ce temps et qui explique aussi l'absence d'enfant.

Pays basque (07/2020)



Eric Plamondon articule son récit autour de fragments de la lettre d'adieu d'Oyana à son époux, et d'indications historiques sur le nationalisme basque et la lutte armée menée par l'ETA des deux côtés de la frontière franco-espagnole. 
On découvre que, jeune fille, Oyana n'embrassait pas particulièrement la cause indépendantiste, bien au contraire. Le hasard, un garçon, l'ont placée sur la route de la terreur, dont une mère et sa petite fille furent les victimes collatérales.

Nos vacances :
Des soirées à guetter le rayon vert !
"J'ai acheté un ciré jaune, repris la route jusqu'à la colline de Sainte-Barbe et gravi le petit chemin du parc pour arriver à a chapelle en surplomb.(...)C'est d'ici que dans le film d'Eric Rohmer, Marie Rivière voit le rayon vert. Mais là, le ciel était bas, l'océan de plus en plus déchainé. Les nuages m'empêchaient de voir la corniche en direction d'Hendaye, l'Espagne au sud et la Rhune là-bas à gauche derrière la ville." (p.114)

Les rappels historiques sont entrecoupés d'extraits de documents, coupures de presse, communiqués, qui apportent un éclairage précieux sur cette période. J'ai personnellement appris énormément sur ce chapitre violent de notre histoire.

Plamondon ayant également le mérite d'être québécois (comme Luc !), il évoque les liens historiques entre les Basques et le Québec, et c'est là que nous retrouvons les baleines... avec cette tradition de la chasse à la baleine qui amena les marins basques jusqu'à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Un passage du roman est vraiment marquant, quand Oyana se rappelle enfant l'échouage aux côtés de son père d'un cachalot sur la plage, son œil ouvert, le regard attendant la mort.
Au-delà des liens de pêcherie à la baleine, l'auteur évoque les liens de fraternité voire carrément de complicité entre certains Basques et Québécois habités d'une même fibre nationaliste.

San Sebastian by night (08/2020)

Baie de San Sebastian
Alors, finalement, j'ai dévoré ce livre, mais les scènes d'avant-fin m'ont fait l'effet d'un film de Quentin Tarantino voire, pire selon moi, m'ont fait penser aux scènes hyper violentes qui m'avaient tant choquée dans le roman "Le chardonneret" de Donna Tartt. J'admets que je ne m'y attendais pas, et que, probablement trop naïve, je pensais que l'eau de l'ETA avait définitivement coulé sous les ponts, d'où ma stupeur.
Mais, cher lecteur, il te faut aller au-delà de ces scènes pour avoir le fin mot de l'histoire, complètement inattendu. Bravo tout de même monsieur Plamondon pour ce twist.
En ce qui concerne le style, je me permets un petit bémol par rapport à l'engouement que j'avais éprouvé à la lecture de "Taqawan", "Oyana" m'ayant paru plus sec et désincarné.

--> Voir la p'tite chronique "Québec" de ce blog, la page "voyages voyages"...

samedi 30 janvier 2021

Eric Plamondon : "Taqawan" (Québec)

***** (Ed. Quidam, 2017) - "Elle monte dans le bus et s'assoit, colle son front contre la vitre fraîche." (Incipit)

J'ai découvert ce auteur québécois grâce à ma participation, quelque peu laborieuse certaines années, au Prix littéraire France-Québec (2015 ICI, 2016 LA). Eric Plamondon en est le lauréat 2018 avec son beau roman "Taqawan".

Ce roman s'inspire d'un fait réel, l'intervention brutale de la gendarmerie québécoise le 11 juin 1981 sur la réserve de Restigouche en Gaspésie, dans le but de confisquer les filets de pêche des Indiens Mi’gmaq. Depuis la nuit des temps, ces Indiens pêchent le saumon.

"Dans l'Ouest, l'homme blanc a réussi à éliminer les Indiens en éliminant les bisons. Dans l'Est, il y avait des saumons. On les a pêchés à coup de barrages, de nasses et de filets jusqu'à l'épuisement des stocks. Les Indiens aussi sont épuisés."

Droits ancestraux, pêche de subsistance, chevauchement de juridictions (Québec gérant la pêche sur le territoire de la province, Ottawa gérant les réserves indiennes...), misère sociale des réserves, discrimination, clubs privés de chasse et pêche spoliant les terrains publics... 

"L’autobus approche du pont Van Horne, qui relie la province de Québec à celle du Nouveau-Brunswick au-dessus de ce qui n’est déjà plus la rivière Ristigouche, mais pas encore la baie des Chaleurs. Ce pont marque une frontière à l’intérieur d’un même pays, davantage juridique que géographique. Le transport scolaire vient chercher les enfants de la réserve indienne le matin pour les amener à l’école anglaise et les reconduit chez eux en fin d’après-midi. Il y a le Québec et le reste du Canada, la réserve et le reste du monde. Dix générations plus tôt, ils s’étaient installés ici, à la fin des terres, Gespeg. Ce sont les Mi’gmaq. Les premiers Français les appelaient les Souriquois. Puis on a écrit leur nom de différentes manières : Miquemaques, Mi’kmaqs, Micmacs."

Le roman plonge le lecteur dans l'histoire du pays à partir de ce violent épisode de la bataille du saumon, et questionne sur les revendications d'une province en faveur d'une autonomie la plus large possible et les réticences à appliquer les mêmes principes aux communautés autochtones.

"Ostie, quand on a vendu la moitié de la province à des Américains pour le bois, l’électricité, les mines et les réserves de pêche, ça dérangeait personne. Si c’est des Indiens qui réclament, là c’est un problème, là c’est des profiteurs pis juste une gang de soûlons. Il faudrait punir toute la communauté sous prétexte que certains pêchent sans permis ? Quand on pogne des braconniers québécois pure laine, y’a personne qui dit qu’il faut punir toute la province de Québec à cause d’eux autres !" (p. 144)

Les repères historiques jalonnent utilement le récit, et pour qui s'intéresse peu ou prou à la belle province, c'est passionnant. Les récits contemporains et historiques s'entremêlent sans à-coups et ne cassent jamais l'évolution de l'intrigue.

"Tu sais qu’avec l’Acte des pêcheries de 1858, la Couronne impose les permis de pêche. A partir de là, les Indiens, il faut qu’ils demandent la permission de continuer à faire ce qu’ils font depuis des millénaires. Pour eux, demander des permis pour pêcher, c’est comme demander des permis pour vivre." (p.100)

Une intrigue en effet prenante. Le roman met en scène quatre personnages principaux : Yves, ancien garde-forestier sur le départ, Océane, jeune adolescente amérindienne de la réserve, violée lors de la répression policière, William, un vieil Indien solitaire, et Caroline, enseignante française tout juste débarquée au Canada.
Le roman est passionnant aussi bien pour l'histoire, la grande et la petite, que pour tous les à-côtés que se permet l'auteur au gré des chapitres, comme l'explication de l'expression "le droit fil", la recette de la soupe aux huîtres, l'art de la pêche à la mouche ("Quand un saumon gobe une mouche, c'est sa manière de dire : fous-moi la paix ! Crisse-moé patience ! Get out !" p.139), l'arrivée de Jacques Cartier à la proue de son navire, la chasse ancestrale de l'orignal, et un précis de sciences de la nature sur le saumon... "Taqawan : [le saumon] qui pour la première fois revient de la mer pour remonter la chute." (p. 154)

L'écriture d'Eric Plamondon est enlevée, mais toujours sobre, et je la trouve belle. "C'était un soir de mouches à feu. L'éclat jaune-vert des insectes se mêlait à l'orange des étincelles." (p. 105) - "Le vent soufflait et s'engouffrait dans la baie pour remonter la rivière jusqu'à eux. Cette année, à coup sûr, Noël serait blanc." (p.106)

En bref, c'est un beau roman, qui se déroule dans ce pays où je me suis mariée, 7 ans après la prise d'assaut de Restigouche. A l'époque, j'étais jeune française débarquée dans la belle province en pleine "guerre de la morue" (voui voui !) entre nos deux pays... Certes je n'ai pas connu de discrimination, je fus accueillie à bras ouverts par les Québécois, seulement sujette à de petites taquineries administratives de la part du gouvernement qui voulait affirmer sa fermeté face à la France et aux flottilles de Saint-Pierre-et-Miquelon, en renforçant le contrôle des titres de séjour. Dire que je n'avais à ce jour quasiment jamais mangé de morue dans ma vie.
Un souvenir plus marquant de l'actualité d'alors, c'est surtout l'application de la loi 178 de Bourassa contrainte de modifier la loi 101 (charte de la langue française) en instaurant l'obligation d'affichage en français à l'extérieur et la possibilité d'un affichage multilingue à l'intérieur. Ouah c'était chaud dans les rues de Montréal. 
Ca avait donné lieu à un super morceau du groupe French B (pour French Bastards) en 1989, avec en intro le "Vive le Québec libre" du Général de Gaulle, peut-être le premier morceau de rap québécois : "J'me souviens" :
"Bill 101… Je m’en souviens de la langue, de la langue de Lepage, pis celle de Tremblay
Et je parle la langue de Ferron, Gauvreau et de PDG
J’me souviens à mort, du Vent du Mont Schärr ! [bien sûr que je comprenais "vendu mon char" ! ]
Mais on est encore pris pour tapiner Paris parce que la chicane est pognée dans la cabane...
J’m’en souviens d’la langue, d’la langue des doux french kiss...
Je m’en souviens encore mais pour combien de temps, je m’en souviens tellement
Je la mettrais dans le vinaigre pour qu’elle dure plus longtemps
T’en souviens-tu de la langue ? Do you remember when we were French ?"
Au lac, 08/2019

Montréal, 08/2019









--> Voir la p'tite chronique Québec de ce blog..., la page "voyages voyages"...

dimanche 24 janvier 2021

Bonne année !

 





Tiens, je remarque que l'an dernier, exceptionnellement je n'avais pas posté de voeux... 
Voilà donc pourquoi cette année 2020 fut si pathétique 😉.

Donc je me reprends pour 2021 et je charge mon petit rouge-gorge, devenu mon fidèle compagnon de télétravail, de transmettre à tous douceur et sérénité.

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