Pas de faisan dispo pour ma photo, mais les pigeons sont finalement pertinents pour ce roman |
Aimé ? Pas aimé ? Mon sentiment est mitigé.
Un livre très court, mais de lecture peu facile. Le début m'a déconcertée, surtout les scènes plutôt crues et inattendues qui m'ont rebutée. J'ai manqué abandonner, mais je me suis dit : allez, livre poids plume, auteur Prix Nobel... quelques trajets de RER et j'en aurais fini de ces quelques 125 p. Je reconnais : comportement très prosaïque.
Je pense avoir bien fait de persévérer : j'ai découvert un auteur inconnu avant son Nobel, narrant les affres de la (grande) Histoire entremêlées avec les (petites) histoires misérables d'un pays de l'Est sous joug totalitaire, la Roumanie de Ceaucescu.
Zoom sur un village roumain où vivent quelques familles allemandes (de la minorité Souabe) qui, les unes après les autres, entreprennent d'émigrer en Allemagne. Nous suivons le meunier Windisch dans cette quête du Graal, livrant ses sacs de farine et payant des intermédiaires pour obtenir les passeports. Les petits détails de la grisaille quotidienne.
Disputes avec sa femme, inquiétude désabusée à propos de son adolescente qui devra être offerte aux représentants corrompus et graveleux de la police et de l'Eglise avec la complicité de la postière pourrie, regard méprisant ou mesquin sur les voisins, jalousie, et vice versa.
Tout est gris, sombre, miséreux, sans espoir.
Aucune joie, aucune complicité avec quiconque, des mots très durs entre mari et femme, un ressentiment qui date de leur retour de guerre et qui a formé une chape de plomb entre eux deux. Mensonges, tromperies, pots de vin, corruption des autorités, délation...
Et un paysage en arrière-plan dénudé, froid, gris, austère, désarticulé entre pluies et sécheresse.
Je déduis que le récit se déroule entre 1965 (arrivée de Ceaucescu) et 1970 : fonction du retour des camps de prisonniers après-guerre de Windisch et l'âge de sa fille Amélie (16 ou 17 ans).
Herta Müller, née en Roumanie au sein de la minorité allemande des Souabes, a reçu le prix Nobel en 2009 pour avoir "avec la densité de la poésie et la franchise de la prose, dépeint l’univers des déshérités".
Le style est impersonnel, factuel, dépouillé. Parfois dérangeant, cru. Les personnages ne sont pas attachants, les dialogues sont épurés et de toutes façons incisifs ou dépourvus d'émotion. Les chapitres se succèdent sans véritable séquence. C'est un roman sans aucune note de joie qui décrit des personnages désabusés qui ne partagent que le fait d'habiter un même village et de vouloir s'en aller à l'Ouest.
Comme le précise la 4e de couverture : "Depuis que le meunier Windisch veut émigrer, il voit la fin du monde partout dans le village". Et je me suis fait la réflexion que ce serait un intéressant travail scolaire que de relever justement toutes ces impressions de fin du monde qui essaiment le récit.
Finalement, il se dégage une vraie poésie de ce petit roman, avec des notes surréalistes qui m'ont fait penser à l'écrivain russe (que j'apprécie bcp) Vladimir Sorokine et ses récits de dystopie, et puis le poids des superstitions (l'arbre qui mange ses pommes...) m'a également fait penser au remarquable roman de Tea Obrecht, "La femme du tigre" qui se situe dans l'ex-Yougoslavie.
Un petit livre que je conseille aux lecteurs patients, et qu'intéresse le contexte historique et géographique : la Roumanie d'alors et le vent d'espoir soufflant vers l'Ouest. La fin du roman n'en est que plus parlante, réaliste. "Tout ça pour ça" pourrait-on penser.
Quelques extraits :
- Le ciel s’est consumé pendant 7 jours. Il s’est déplacé jusqu’à l’extrémité du village. Dans la vallée il a regardé le fleuve dont il a bu l’eau. Il a plu. p31
Piéride du chou "vol de farine et de vent" dans le roman, elle finit écrasée par la mère sur un miroir |
- Windisch marche à côté de sa femme sous le parapluie noir. C’est un grand chapeau noir. La femme de Windisch porte un chapeau au bout d’une tige. p67
- Par la fenêtre une piéride du chou entre dans la chambre. Windisch la regarde. Vol de farine et de vent. P91
- Avec ses seuls yeux et sa pierre dans la poitrine, Windisch dit à haute voix : "L’homme est un grand faisan sur terre". p94. Pas d'autre explication concernant le titre surprenant du roman.
(Ed. Folio, 125 p)
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