jeudi 19 juin 2014

Hannah Kent : "A la grâce des hommes"... sublime !

***** "Burial Rites" - 2013 (Editions Presses de la Cité, 2014, traduit par K. Reignier, 296 p.) - Réf. géogr : Australie/ Islande
Hannah Kent est une jeune écrivaine australienne, née à Adelaïde en 1985.
A la faveur d'un voyage en Islande, elle a eu connaissance de l'histoire de la dernière femme condamnée à mort dans ce pays, Agnes Magnúsdóttir, et en a fait la trame de son magnifique roman.

Oh que oui, quel roman magnifique, attachant, inoubliable... 
Je ne pouvais plus le lâcher. Je me retiens de l'acheter en VO pour le déguster à nouveau.
Le lecteur est plongé dans l'Islande rurale et pauvre des années 1820/1830, encore sous tutelle du royaume du Danemark. Et soudain, dès les premières pages, nous habitons nous aussi cette chaumière vétuste qui laisse passer les courants d'air, où l'humidité est omniprésente en hiver, avec du givre sur les couvertures au réveil, tandis qu'en été, la tourbe qui recouvre les murs s'effrite créant une poussière irrespirable et nocive. Et nous dînons comme la famille d'une bien frugale soupe de lichen préparée par Agnes...

Agnes Magnúsdóttir est accusée, avec deux autres "comparses", du meurtre de son ancien maître et amant, Nathan, herboriste et fermier à la renommée défaillante. 
Elle est transférée dans une ferme isolée pour aider comme domestique en attendant son exécution. Accueillie avec crainte et dégoût par la famille, sa nature besogneuse, son dévouement et sa situation inconfortable lui gagnent peu à peu l'amitié de la famille. Agnes se dévoile en effet lentement au fil des pages, livre ses pensées, les souvenirs de son enfance peu heureuse (orpheline abandonnée par sa mère, errant ensuite de ferme en ferme pour proposer ses services), et son angoisse de mourir pour une cause qu'elle estime injuste.

Agnes est-elle le monstre que les juges et la police décrivent ? Une femme instruite (elle s'est repue des "sagas", les contes traditionnels nordiques, a appris à lire et ... à penser, et même envisagé de progresser dans l'échelle sociale, guignant un poste d'intendante : un signe ô combien suspect pour une femme de basse extraction à cette époque).

Hannah Kent écrit comme personne : un style très imagé, visuel (voir les extraits ci-dessous), qui emprisonne le lecteur dans les circonstances de l'époque. D'ailleurs, un film est annoncé avec Jennifer Lawrence dans le rôle de la jeune condamnée. J'adhère totalement à ce projet, après avoir admiré cette jeune actrice dans le film Winter's Bones (2010) où elle incarnait une ado de 17 ans soutenant sa famille disloquée au milieu de nulle part dans une forêt du Missouri : remarquable !).

Que dire de plus sur ce roman unique :  gros coup de coeur de cette année 2014 ! 
Et la fin est tout de même fort émouvante... Lisez-le absolument ! Ce récit vous habitera de la première à la dernière page. Merci aux Editeurs et à Babelio de me l'avoir fait découvrir.

Morceaux choisis :

"Il faisait si froid cet hiver-là que je trouvais chaque matin une couche de givre sur mes couvertures…"

"(…) sèche en été, la tourbe répandait constamment de la poussière et de l’herbe sur les lits. Elle produisait des moisissures qui tombaient sur les couvertures de laine et infestaient les poumons de toute la famille. La ferme avait commencé à se désintégrer. Elle se transformait en taudis et son état de délabrement gagnait ses habitants (…)." (p.64)

"Bientôt, l’hiver déferlera sur nous comme une vague monstre sur le rivage : rapide et brutal, il avalera le soleil et ne laissera derrière lui qu’un bloc de terre gelée. En quelques jours à peine, tout se figera. Tout s’arrêtera." (p.149)

"Je m’enivre d’été et de lumière." (p.130)

Aurore boréale :
"Le ciel s’embrasait. Il était envahi de couleurs. Je n’avais jamais vu ça. D’immenses rideaux de lumière ondulaient, comme poussés par le vent, et tournoyaient au-dessus de nos têtes. Björn avait raison : on avait l’impression que le ciel se consumait à petit feu. De longues traînées violettes dévoraient l’obscurité nocturne et les étoiles qui la piquetaient. Les lumières venaient et refluaient telles des vagues sur l’océan, soudain interrompues par des éclairs vert cru qui plongeaient  à travers le ciel comme s’ils tombaient de très haut." (p.175)

"Le révérend ne revient pas. L’hiver, si. L’automne s’est enfui, chassé par un vent glacé qui plaque des rafales de neige contre les murs de la ferme. L’air devient transparent, fin comme du papier. Mon souffle reste en suspens devant ma bouche tel un esprit malin. Le sol gelé disparaît sous une brume épaisse, descendue des montagnes. Les ténèbres ont pris possession du nord de l’île. Elles s’étendent sur la vallée comme un bleu sur la chair de la terre." (p.305)

"Il faut être, comme moi, traînée vers sa propre mort pour savoir ce que c’est : mon cœur a durci d’un seul coup. Je porte un nid de pierres dans la poitrine ; et dans ce nid ? Rien. Je ne suis plus qu’une coquille vide. Stérile. N’attendez pas : je ne produirai plus rien. Je suis le poisson moribond dans l’air glacé, l’oiseau déjà mort sur la grève. En moi, tout  s’est asséché. Je ne suis pas certaine de saigner quand ils me trancheront le cou." (p.375)

--> Voir aussi les "livres nordiques", les "lectures d'Océanie" (Hannah Kent y a gagné haut la main sa place), ou mes "livres favoris" dont celui-ci évidemment !

1 commentaire:

  1. Un gros coup de coeur pour moi aussi !
    Un livre qui restera gravé dans ma mémoire.

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