vendredi 10 octobre 2014

Mia Couto et sa jolie "Pluie ébahie" (Mozambique)

"La pluie ébahie" ("A chuva pasmada") *****
(Ed. Chandeigne, 96 p. - trad. Elisabeth Monteiro Rodrigues)

Comme j'avais aimé "La véranda au frangipanier" de Mia Couto, un livre à l'histoire aussi insolite que poétique, qui donne à connaître ce pays africain lusophone qu'est le Mozambique, je me suis aussi laissé emporter par la poésie et l'originalité de "La pluie ébahie".

Un tout petit récit, qui se lit si vite mais laisse de beaux souvenirs, car l'écriture est magique (j'admire la traduction). Le narrateur est un enfant et le récit prend la forme d'un conte, qui met en scène le père, triste et aigri depuis son retour de la mine, la mère, énergique et impudique qui attrape le problème de la pluie à bras le corps, le grand-père qui se dessèche dans son fauteuil à bascule jusqu'à "revivre" dans une pirogue lancée sur le fleuve, la tante, un peu mystérieuse. Il y aussi le petit garçon blanc fils du propriétaire de l'usine, qui veut jouer aux billes mais est décontenancé par le racisme de son père... Tout le long du récit, on attend comme cette famille et les autres villageois, que la pluie se décide à tomber pour de bon... car la pluie n'en finit plus de rester en suspens.
Une sorte de petit conte fantastique qui est une ode à l'eau et qui aborde le sujet de la pollution et de ses ravages notamment dans les régions pauvres.

Étonnante coïncidence, je lis ce livre après avoir lu récemment un roman sud-africain ("Ninive") où le monde aquatique jouait aussi son rôle, et qui m'avait amenée à penser à cet autre roman aquatique "Le poison de Goa" de Maurice Magre.

Résumé de l'éditeur: "À Senaller, un village dont on ne peut que partir ([d'où son nom "Senaller" en français], la pluie ne tombe plus, elle demeure en suspens. Le fleuve est à sec, la sécheresse menace. Le village est-il la proie d’un châtiment divin ou des rejets de l’usine installée à proximité ? Devant l’impuissance des commandeurs de nuages et des villageois, la mère du narrateur décide de se rendre à l’usine. Devenu le complice malgré lui d’un terrible secret, l’enfant n'a pas d’autre choix que de protéger sa mère de la fureur paternelle. La présence aimante du grand-père est l’unique refuge de l’enfant. Afin que la pluie tombe à nouveau, la famille devra dérouler les fils de son histoire et revivre la légende des Ntowenis."

Morceaux choisis :
"L'indécision de la pluie n’était pas motif de joie. Malgré tout j’inventai une facétie : mes parents m’avaient toujours traité d’ébahi. Ils disaient que j’étais lent pour agir, attardé pour penser. Je n’avais pas vocation à faire quoi que ce soit. Peut-être n'avais-je même pas vocation à être. Eh bien la pluie était là, clamée et réclamée par tous et finalement aussi ébaubie que moi. Enfin, j’avais une sœur tellement maladroite qu’elle ne savait même pas tomber." (couverture)
"(…) c’était une pluie légère en suspens, flottant entre ciel et terre. Légère, ébahie, aérienne. Mes parents appelèrent ça un « pluviotis ». Et ils rirent, amusés par ce mot. Jusqu’à ce que le bras du grand-père se dresse : - Ne riez pas si fort, la pluie est en train de dormir…" (p.9)
"Cette nuit-là, la lune était pleine. Dans le noir, le clair de lune se répliquait en mille gouttelettes, allumant une crèche fantastique. Jamais je n'avais assisté à tant de lumière nocturne, l'étoilement du ciel juste sur notre toit. Mon père sourit :
 - On a la lune électrique !" (p.22)
"(…) tous les papillons de la région s‘étaient rassemblés sous l’auvent. C’était une sempiternité d’ailes et de couleurs. Je touchai légèrement els ailes de l’un d’eux. Une poussière dorée resta emprisonnée sur mes doigts. On aurait dit de petites écailles. Des écailles comme celles d’un poisson sans poids, en définitive." (p.55)
"Le fleuve avait vaincu l’usine. Dans notre pensée précise, tout prenait un sens : c’est la force de l’eau qui alimentait les machines. Le fleuve s’était éteint, l’usine s’était évanouie, les fumées disparaissaient. (…) Puis, un tel tonnerre gronda que je vis le ciel se déchirer comme un papier sans valeur. Et les tintinnabulations magiques débutèrent aussitôt sur notre toit. Le zinc riait aux éclats avec l’arrivée de la pluie." (p. 90)
--> Sur le Mozambique aussi : voir "Le secret du feu" de Henning Mankell, écrivain suédois qui  dirige le Teatro Avenida à Maputo (son roman policier "Le Chinois" met aussi en scène des passages au Mozambique, mais j'en ai été déçue...)
--> et mes "Lectures d'Afrique"

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