mardi 14 février 2012

Marina Lewycka : "Deux caravanes" (R-U, Ukraine)



Marina Lewycka - Deux caravanes (2007) ***** 💚💛
Grande-Bretagne/Ukraine
Un bon roman sur le parcours de quelques immigrés clandestins d'Europe de l'Est (entre autres) venus tenter leur chance en Angleterre, avec un zoom sur les filiÚres mafieuses qui les exploitent, la précarité, la solitude...
Mais pas pour nos personnages principaux qui dĂ©couvrent la solidaritĂ©, l'aventure et l'amour...La pointe d'originalitĂ© du roman (ou l'une d'elles) tient aux interventions du "Chien" dans la construction du rĂ©cit, et dans l'histoire ! "Je suis un chien je cours je cours....".

Voir d'autres livres "avec" chien(s) : Lectures canines
 
Irina et Andrei, tous deux Ukrainiens, se retrouvent par hasard à faire le ramassage de fraises dans le Kent, pendant l'été... Arrivés là via une filiÚre clandestine, à leur corps défendant : ils pensaient obtenir un droit de séjour en bonne et due forme pour tenter une vie meilleure "à l'ouest"...
Les cueilleurs clandestins forment une communauté disparate, entassés dans deux caravanes qui rouillent sur un parking désert, une pour les hommes et l'autre pour les femmes. BientÎt un chien errant les rejoint. Chacun arrange un minuscule coin dans le peu d'espace et disputes, broutilles, clins d'oeil en coin sont le lot commun de la promiscuité. En revanche, l'atmosphÚre se détend par magie (et petite biÚre) au moment du repas commun.
Nous suivons plus particuliĂšrement les deux personnages ukrainiens, Irina, la jolie jeunette de Kiev, et AndrĂ©i, originaire d'une famille de mineurs du Donbass, leur attirance Ă  rebrousse-poil... quand survient un vaudeville rocambolesque avec mort du fermier et fuite des cueilleurs... Irina et Andrei parviennent Ă  s'Ă©chapper avec quelques-uns de leurs compagnons d'infortune (cueilleurs de fraises aussi - un Botswanais, 2 Chinoises, un Polonais...) dans le 4x4 des bandits Ă  laquelle est arrimĂ©e une des caravanes, "la prĂ©cieuse maison" . Pris en filature par les mafiosi de la filiĂšre, le groupe Ă©clate... mais les chemins se recroisent au fil d'aventures diverses et farfelues, toujours tragi-comiques.
Chacun de ces immigrés clandestins dans une Angleterre policée se sent finalement soudé à la petite communauté de la caravane.

Le style de l'auteur, qui est nĂ©e dans un camp de rĂ©fugiĂ©s ukrainiens en Allemagne et a grandi en Angleterre, est trĂšs spontanĂ© et "sans façons" - elle fait s'exprimer les diffĂ©rents personnages en empruntant leur peu de maĂźtrise de la langue mĂątinĂ© d'expressions de leur langue d'origine : j'ai trouvĂ© ce parti pris sympathique et rĂ©aliste, mĂȘme si parfois les dialogues peuvent paraĂźtre "hachĂ©s".

Pas une seconde d'ennui en lisant le roman, tellement le récit foisonne de rebondissements quelquefois ubuesques : il ne faut pas s'attendre à un ouvrage "sérieux" de bout en bout mais à l'habillage cocasse, inventif, extravagant du récit de la dure réalité des immigrés clandestins en Angleterre.

LE CHIEN DANS LE RECIT :

Le chien a fait irruption au campement des cueilleurs de fraises et s'est retrouvĂ© "adoptĂ©" et appelĂ© "Le Chien".
Il avait de mĂȘme fait irruption dans le rĂ©cit : l'auteur a insĂ©rĂ© des paragraphes en retrait par rapport au reste du rĂ©cit, Ă©crits en majuscules et sans aucune ponctuation.
De sorte qu'à la lecture du premier paragraphe (ils commencent tous par : "JE SUIS UN CHIEN JE COURS JE COURS"), on se pose des questions sur cette irruption dans le récit. C'est une vraie surprise, et je me suis amusée à relire plusieurs fois les paragraphes "Chien" pour bien comprendre le sens (sans ponctuation et avec un langage parlé retranscrivant les pensées du chien !).

Finalement, le Chien devient un "personnage" incontournable dans l'histoire, il Ă©tait en fuite lui aussi et se retrouve arrimĂ© Ă  ce groupe hĂ©tĂ©roclite, tout en Ă©lisant l'un d'entre eux (Andrei) comme Ă©tant "son homme", tandis qu'il se rĂ©fĂšre (gentiment) Ă  Irina comme Ă  "la femelle plus bĂȘte qu'un mouton" ou Ă  Tomasz le Polonais comme Ă  "l'homme Ă  la bonne odeur de pieds" (tout le contraire...).
Le Chien est toujours lĂ  pour rapporter au groupe un pigeon ou un lapin de la forĂȘt, voire un poulet congelĂ© ! et agrĂ©menter les repas communs. Il est lĂ  pour donner l'alarme quand un incendie Ă©clate dans la maison de retraite oĂč nos protagonistes ont atterri. Et il est encore lĂ  pour sauver la vie Ă  "son homme" aux prises avec l'affreux et dangereux mafioso...

Un extrait parmi d'autres :
"JE SUIS UN CHIEN JE COURS JE COURS SEUL UN CHAMP UNE HAIE UNE ROUTE IL FAIT TOUT NOIR JE VOIS UNE LUMIERE BLEUE CLIGNOTER JE FLAIRE J'ECOUTE J'ENTENDS HURLEMENTS DE ROUES PON PIN PON JE COURS UN CHAMP UNE RIVIERE JE BOIS DES PETITS ANIMAUX DETALENT ODEUR D'HERBE DE TERRE DES CHOSES MORTES QUI POURRISSENT ODEUR D'ANIMAUX DE PISSE FRAICHE BLAIREAU RENARD BELETTE LAPIN JE COURS UNE ROUTE UN CHAMP UNE FORET UNE ROUTE UNE FORET STOP SNIFF JE SENS DES PIEDS UNE BONNE ODEUR DE PIEDS JE VAIS CHERCHER L'ODEUR DES PIEDS JE COURS JE COURS JE SUIS UN CHIEN"
("Deux caravanes"/ Editions des Deux Terres, 2010)

Je recommande vivement la lecture de ce roman... aprÚs avoir bien entendu commencé par le premier livre de Marina Lewycka : "Une brÚve histoire du tracteur en Ukraine" (vraiment excellent !).
Voir aussi sur ce blog :
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