lundi 14 avril 2014

"Dans l'ombre de Charonne" : Un récit graphique pour ne pas oublier

***** Désirée et Alain Frappier - 2012 (Editions du  Mauconduit, 136 p.)
Très très beau et sombre récit graphique en noir et blanc.

D'abord tout commence par la préface passionnante et édifiante de Benjamin Stora...

Ensuite, nous sommes emportés aux côtés de Maryse au fil de pages, tellement intéressantes... et  sur tant de sujets... (y compris l'exode des juifs égyptiens au moment de la guerre israélo-arabe, l'attente des papiers en France...), et même le quotidien des lycéens français des années 60... 

La plaque "Place du 8 février 1962" a été apposée
par la RATP  sous le nom de la station Charonne en février 2014
Une leçon d'histoire dans chaque case dessinée sans que cela paraisse : 
C'est le signe d'une reconstitution admirable de l'époque, oui, et des événements qui ont conduit aux 9 morts du métro Charonne. Conduit aujourd'hui, 52 ans plus tard, à ce que cette station de métro de la ligne 9 soit rebaptisée en "Charonne, Place du 8 février 1962".

Pour moi, qui a pourtant étudié la science politique et l'histoire, il y a sur cet événement de Charonne un avant et un après la lecture de ce roman graphique.

Avant ? Charonne sonnait comme une vague référence à un événement douloureux de l'histoire de France... C'était dans mes "révisions" de cours, j'avais appris la date et la raison de la manif...  La date de la manif des travailleurs algériens du 17 octobre 1961 contre le couvre-feu imposé par le préfet Papon forcément fut mise en lumière pendant le procès Papon fin des années 90. 
Mais je n'aurais même pas pensé que le 8 février 62, des gens avaient péri écrasés dans les escaliers du métro. Que les policiers avaient jeté sur eux les grilles en fonte qui bordent les arbres.
Et pourtant j'emprunte chaque jour le trajet me jetant à deux stations de là... Deux stations sans savoir ce qui se passa dans ces escaliers le 8 février 1962... 

L'ouvrage de Désirée et Alain Frappier ouvre les yeux, au-delà de tous les cours de sciences po ou autres que l'on a pu recevoir : les années lycée en parallèle avec la guerre d'Algérie, certes, mais ensuite, le crescendo des événements, la France quasi coupée en deux, les associations, les débats à l'école et au bar du coin, et puis la manif. Cette foule pacifique, qui a marché et marché puis qui, le soir tombé, pense (un brin lassée) genre "mal aux pieds dans ces chaussures, il est temps de rentrer...". 
Combien l'ouvrage décrit incroyablement et horriblement, comme si on y était, l'appel tranquille à la dispersion, puis la déconnexion entre manifestants/syndicats et police, la charge de la police, la furie, la débandade, les chaussures et sacs abandonnés, les corps piétinés et paniqués qui cherchent à se réfugier dans la seule voie de secours qui s'offre à eux  : la goulue bouche du métro Charonne.

"Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Écrasés l´un contre l´autre
Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne" (La foule, Edith Piaf)

Evidemment, chaque station de métro a sa propre histoire. Mais croiser la station Charonne mérite de se questionner sur les événements de 1962. Il faut lire "A l'ombre de Charonne" pour comprendre simplement.


Le résumé sur le site de l’éditeur (Editions du Mauconduit) :  
"Maryse, une jeune lycéenne de 17 ans, décide de participer avec ses copains de lycée à une manifestation contre le fascisme et pour la paix en Algérie. Nous sommes à Paris, en 1962
Après 8 ans de guerre, l’indépendance de l’Algérie devient inéluctable. L’OAS, regroupant dans ses rangs les fervents défenseurs du dernier bastion d’un empire colonial agonisant, multiplie les attentats à la bombe sur la capitale. Le 8 février, après 14 attentats, dont un blessant grièvement une petite fille de quatre ans, des manifestants se regroupent dans Paris aux cris de « OAS assassins », « Paix en Algérie ». La manifestation organisée par les syndicats est interdite par le préfet Maurice Papon. La répression est terrible. La police charge avec une violence extrême. 
Prise de panique, Maryse se retrouve projetée dans les marches du métro Charonne, ensevelie sous un magma humain, tandis que des policiers enragés frappent et jettent des grilles de fonte sur cet amoncellement de corps réduits à l’impuissance. Bilan de la manifestation : 9 morts, dont un jeune apprenti, et 250 blessés.
50 ans plus tard, Maryse Douek-Tripier, devenue sociologue, profondément marquée par ce drame dont elle est sortie miraculeusement indemne, livre son témoignage à Désirée Frappier. C’est une véritable histoire dans l’Histoire à laquelle nous invite l’auteur, restituant ce témoignage intime dans son contexte historique et tragique, tout en nous immergeant dans l’ambiance des années soixante : flippers, pick-ups, surboums, Nouvelle Vague, irruption de la société de consommation."

--> Voir aussi l'interview des deux auteurs sur http://www.histoire-immigration.fr/magazine/2014/3/dans-l-ombre-de-charonne 

... et des mêmes auteurs, Désirée et Alain Frappier : un autre excellent ouvrage, je ne dirais pas plus léger car le poids de l'histoire est là aussi, mais plus proche et quand même teinté d'une juste et délicieuse dose d'humour  :  "La vie sans mode d'emploi, Putain d'années 80 !"

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