mardi 17 août 2021

Caroline Deyns : "Trencadis", une pépite sur Niki de Saint-Phalle

Autoportrait (zoom)
Caroline Deyns a écrit une
Pink Nude in Landscape 1959 (zoom)
biographie romancée
de l'artiste Niki de Saint Phalle. Et le résultat est aussi passionnant qu'impressionnant. (Ed. Quidam Editeur, 2020, 354 p.)

Pour quelqu'un qui comme moi adore Niki de Saint Phalle et a eu l'occasion de savourer goulûment ses œuvres lors de la magnifique expo au Grand Palais en 2015 (cf. photos), ce roman est une pépite.

Car si l'on connaît l'histoire de Niki :
... sa jeunesse de bonne famille à New-York, l'enfance pétrifiée par l'inceste commis par son père, ses accès de mélancolie, ses débuts de mannequin, son premier mariage, le "renoncement" à ses enfants, ses internements en clinique psychiatrique et son apaisement par le dessin ou la peinture, puis sa découverte de l'univers de Gaudi au Parc Güell, les "trencadis" (mosaïques en catalan), la rencontre avec Jean Tinguely, les "tirs" à la carabine, cathartiques, la vie à deux, les sculptures, les mosaïques, les douleurs physiques liées à son art, les infidélités de Jean, la souffrance psychique, le deuxième mariage (avec Jean), le Jardin des Tarots, la Californie...

Donc, si l'on connaît déjà les grandes lignes de la vie de Niki de Saint Phalle, on ne saurait imaginer son quotidien. 

" J'ai eu la chance de rencontrer l'art parce que j'avais, sur le plan psychologique, tout ce qu'il faut pour devenir une terroriste."

Et c'est ce que comble Caroline Deyns, avec un talent de conteuse exceptionnel, qui passe par un souci du détail inouï : 

  • Le ballet des Nanas (scénographie envoûtante de l'expo)
    la façon dont Niki enfant ou ado est contrainte d'accompagner sa mère en visite auprès de ses amies de la bonne société new-yorkaise, s'ennuyant à mourir sur sa chaise... ou le regard soudain hypnotisé par la collection d’œufs de Fabergé de la mondaine insipide qui sert d'amie à sa mère...
  • Comment jeune mère, elle pèle à n'en plus finir une pomme...
  • Quand elle commence à collecter les instruments tranchants sous son lit...
  • Quand elle invite l'artisan forain à utiliser sa carabine pour une séance de ses bientôt fameux "tirs" : 

"(...) j'ai tiré. Du sang vert a jailli en gerbes molles. Ébahi, je l'ai interrogée du regard. Elle a éclaté de rire. Ce rire... Je m'en souviendrai toute ma vie, parce qu'il avait beau être aussi juvénile que sa silhouette, on le sentait quelque part creusé de sécheresses, comme des écailles de serpent. (...) Derrière le plâtre, Andréas, il y a des poches dissimulées, des poches avec de la peinture, et puis plein d'autres choses, des tomates, du café, du shampoing, des œufs, des spaghettis. voilà vous savez, maintenant tires encore, Go on ! J'ai obéi et du pus bleu a coulé de l’abcès blanc. C'était magnifique, c'était horrible (...)."

  • Ou que, femme mûre, elle attend désespérément Jean au restaurant le soir d'un de ses vernissages, et il arrive au bras de sa maîtresse...
  • Quand elle sombre dans la dépression... 

"Mais là aussi la vie a repris. Elle entent, elle voit : les piailleries des oiseaux et le jour qui force les stores. Le monde voudrait la lever à grands coups de pieds au cul qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Se lever ? Elle referme les yeux pour dessiner mentalement les couleurs du corps posé sur le matelas, du corps à mouvoir. Son corps. (...) Se lever. La belle affaire."

La fontaine Stravinsky (Tinguely / Saint-Phalle, 1983)
à Paris/Beaubourg, avec en arrière-plan
la fresque "
Chuuuttt !!!" peinte par Jef Aerosol en 2011
 

Caroline Deyns imagine ainsi chaque pan de la vie de Niki, déroule ses crises de mélancolie ou ses accès de créativité, ses pensées, ses douleurs ("Oui j,ai mal, affreusement à me faire hurler toutes les nuits (...)", ses cataplasmes, le souvenir d'abord refoulé puis devenu béant des actes que son père commet sur l'enfant de onze ans qu'elle était, son amour pour un homme volage... Le lecteur vit en miroir la vie de cette femme libre, douée, artiste, blessée, résiliente, indépendante et aimante - ou amante.

Comme elle l'écrit dans les remerciements à la fin de son livre, l'auteure évoque son "double romanesque". Comme le dit Libé : "Blessée mais toujours debout".
Un roman vraiment incontournable pour qui admire cette incroyable artiste, la mère des Nanas. Mais attention, l'écriture de Caroline Deyns est extrêmement foisonnante, voire fourmillante, il m'a fallu un petit temps d’adaptation pour accepter de me laisser submerger et savourer.

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