Ăric-Emmanuel Schmitt a attendu prĂšs de 25 ans pour Ă©crire ce rĂ©cit de voyage trĂšs particulier. En 1989, Ă 28 ans, jeune professeur de philosophie, il se joint Ă un groupe de Français pour partir en randonnĂ©e dans le dĂ©sert du Hoggar, sur les traces du pĂšre Charles de Foucauld. Cette expĂ©dition au sein d’un groupe hĂ©tĂ©rogĂšne l’inquiĂšte dans un premier temps, on sent qu’il manque clairement d’esprit aventurier.
Mes chameaux à moi : au marché aux chameaux de DawarEgypte (2010)
"(…) - mĂȘme de trop loin, les dromadaires ont la gueule d’une photo prise de trop prĂšs. Ici, chez eux en Afrique, les dromadaires me procuraient une impression diffĂ©rente. Calmes, libres, nantis d’une Ă©lĂ©gance nonchalante, ils arpentaient le pĂąturage d’une dĂ©marche Ă©lastique. Tandis que certains reposaient Ă l’ombre des acacias, d’autres cueillaient le chardon, Ă©crĂȘtaient les buissons, tendaient le museau jusqu'aux branchages. PrĂ©cautionneusement, ils se contentaient d’une fleur par-ci, d’une feuille par-lĂ , respectant les vĂ©gĂ©taux pour que leur vie se perpĂ©tue. Silencieux, quasi-immobiles, ils devenaient de grandes plantes parmi les arbustes, empreints d’une sĂ©rĂ©nitĂ© vĂ©gĂ©tative, leurs longs cils Ă©voquant des pistils et des Ă©tamines qui voileraient un regard dĂ©bonnaire." (p.32)
"Chaque pas prodiguait une victoire. Chaque effort annonçait une défaite. Abayghur, lui, progressait sans souffrir. Ses trois dromadaires aussi.
à eux quatre, placides, plus lents qu'ils ne l'auraient été sans nous, ils nous démontraient à quel point nous restions étrangers, étrangers au désert, étrangers au climat, étrangers au sauvage dénuement.
Je soupçonnais mĂȘme les dromadaires de hausser les Ă©paules en se gaussant de nous."
Toutefois, grĂące Ă la gentillesse d’Abayghur, le guide touareg, il va dĂ©couvrir le dĂ©sert, le silence, la beautĂ© de cette nature particuliĂšre, l’amitiĂ©…
"Nous montĂąmes jusqu'Ă un promontoire.Devant nous s’Ă©tendaient des centaines de kilomĂštres, les uns plats, les autres occupĂ©s par des reliefs. La nature jouait une symphonie sur ses grandes orgues : pour accompagner le majestueux panorama, elle multipliait les irisations, colorait le ciel de teintes rares, depuis l’orange piquĂ© de bleu jusqu'au violet Ă©pais, en passant par le turquoise et le parme." (p.163)
Un soir, il s’Ă©gare dans la montagne et se trouve sĂ©parĂ© du groupe. Transi de froid, sans vivres et sac de secours, il s’ensevelit dans le sable pour passer la nuit. Ce sera sa « nuit de feu » au cours de laquelle il vit une « extase mystique » et dĂ©couvre « Dieu ».
"Cette hygiĂšne spirituelle, j’en Ă©prouvais dĂ©sormais le besoin. Et, pour la premiĂšre fois, gĂȘnĂ©, timide, je me suis mis Ă prier."(p.163)
"Mon pays… En avais-je un ? Je savais maintenant que je venais de nulle part et que je n’allais nulle part. Je vagabondais. Je visai le soleil au zĂ©nith. Mon pays ? Le dĂ©sert est mon pays car c’est un pays d’apatrides. C’est le pays des vrais hommes qui se dĂ©font des liens. C’est le pays de Dieu." (p.169)
"La perspective de quitter le Hoggar me fragilisait. A mesure que le temps passait, que le mont Tahat s’Ă©loignait, je portais un regard critique sur ma nuit Ă©toilĂ©e… Ne m’Ă©tais-je pas emballĂ© trop vite ? N’avais-je pas interprĂ©tĂ© de façon mystico-religieuse des phĂ©nomĂšnes purement somatiques ? La soif, la faim, l’Ă©puisement avaient affectĂ© mon corps et m’avaient conduit au dĂ©lire. Et ce bien-ĂȘtre absolu dont je gardais le souvenir, ne le devais-je pas Ă mon hypothalamus qui avait secrĂ©tĂ© des endorphines ? Cette « foi » que je croyais apercevoir en moi, n’Ă©tait-ce pas l’habillage spirituel de la confiance que mon systĂšme nerveux avait chimiquement gĂ©nĂ©rĂ©e pour me permettre de dominer ma terreur et ma fatigue ?" (pp. 173-174)
"Au retour du Hoggar, l’Ă©crivain larvaire qui sommeillait en moi depuis l’enfance s’est assis Ă une table pour devenir le scribe des histoires qui le traversent. Je suis nĂ© deux fois : une fois Ă Lyon en 1960, une fois au Sahara en 1989. " (p.178)"Face au questionnement sur l’existence de Dieu, se prĂ©sentent trois types d’individus honnĂȘtes, le croyant qui dit : « Je ne sais pas mais je crois que oui », l’athĂ©e qui dit : « Je ne sais pas mais je crois que non », l’indiffĂ©rent qui dit : « Je ne sais pas mais je m’en moque »." (p.181)
J’ai aimĂ© le livre non pas pour
sa partie « quĂȘte initiatique » ou pour le rĂ©cit de sa rencontre
mystique, car j’ai la corde moins sensible sur les rĂ©cits de conversion
mystique. J'ai aimĂ© le roman d’Ăric-Emmanuel Schmitt pour le cheminement dans
le désert, remarquablement décrit, poétique, envoûtant.
J’ai eu l’impression de
marcher Ă ses cĂŽtĂ©s dans cette randonnĂ©e, et cela m’a rappelĂ© les souvenirs
prĂ©cieux de ma randonnĂ©e dans le dĂ©sert du SinaĂŻ il y a moult annĂ©es. Pas d’expĂ©rience
mystique pour moi Ă l’Ă©poque mais un sentiment de plĂ©nitude et de sĂ©rĂ©nitĂ©
incroyables au rĂ©veil, Ă l’aube, en mĂȘme temps que le point du jour, avec toute
cette immensité sableuse alentour, et le silence, et la beauté incommensurable.
Je n’ai jamais revĂ©cu pareille sensation.
NB : Pour les puristes... : J'évoque le marché aux chameaux de Dawar en Egypte en légende de ma photo : ce sont bien des camelidés dromadaires ! Il n'y a que des camelius dromedarius (1 bosse) en Afrique, au Proche-Orient et en Arabie. Le camelius bactrianus (2 bosses) se trouve en Asie Centrale et Chine.
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