dimanche 17 novembre 2013

Imraan Coovadia : "Flux et reflux" (Afrique du Sud)

***** High Low In-Between - 2009
(Editions Zoe / Ecrits d'ailleurs, 2013, 336 p, traduit par L. Cantagrel)


Tout d'abord, et ce n'est pas dans mes habitudes de m'attarder sur ce genre de commentaires, mais la "texture" du livre m'a enchantée ! Je ne connaissais pas les Editions ZOE, eh bien chapeau pour le travail d'artiste qui a façonné un ouvrage de si belle qualité. Un plaisir de le toucher, de tourner les pages... Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti autant de plaisir à tenir un livre. De même pour le texte, aucune coquille. Du très bel ouvrage !
L'histoire m'a intéressée, je ne dirais pas "passionnée" mais la pointe d'intérêt et le plaisir de lecture étaient au rendez-vous. Très intéressante cette immersion dans la Durban contemporaine, cette mégalopole sud-africaine (2e ville la plus peuplée après Johannesburg) au coeur du pays zoulou, dans la province du Kwazulu-Natal.
Que savais-je de Durban ? une vague notion de port et station balnéaire sur l'océan indien... C'est tout. La ville est en fait le plus grand port import-export d'Afrique du sud et un centre industriel textile entre autres. Et le roman dépeint parfaitement l'identité de Durban...

Ce roman possède une vertu indéniable : nous ouvrir les yeux sur un autre racisme qui ronge l'Afrique du Sud. 
L'histoire se déroule de nos jours, l'apartheid est une page tournée et un gouvernement noir tient les manettes. Toutefois, le roman plonge au coeur de la communauté indienne, dont les protagonistes furent aux côtés des militants de l'ANC durant les années de lutte contre le pouvoir blanc. A présent que le black power est en place, la communauté indienne fait face à une discrimination propre et insidieuse. Particulièrement active dans la sphère médicale à Durban, elle se voit peu à peu ostracisée.

Zoom sur le quotidien de Nafisa, son fils Shakeer, son employée Estella et les nombreux personnages qui gravitent autour d'eux, de la communauté indienne ou de la patientèle zouloue. Au fil des jours, Nafisa commence à se poser des questions sur la mort de son mari, et cela provoque comme un déclic en elle : elle aborde les gens, sa famille proche ou éloignée, les amis de la famille, les commerçants ou les collègues sous un angle nouveau. 
Elle découvre ces gens qu'elle croyait connaître, et qui ne sont pas du tout ce qu'elle pensait d'eux. Où donc avait-elle vécu avec des oeillères toutes ces années ? En tout cas, Nafisa rattrape le temps, règle ses comptes et ouvre les yeux sur la vraie vie.

C'est là le fil rouge de l'histoire. Il ne faut en effet pas s'attendre, comme l'y invite à tort le résumé de couverture, à un roman policier ou un thriller médical sur fond de trafic d'organes : ce ne sont que toile de fond de ce livre qui nous fait vivre le sursaut de Nafisa après la mort de son mari, son combat quotidien contre le sida qui gangrène la population, et les dénégations du gouvernement trop honteux de reconnaître cette pandémie. 
Un léger bémol quant aux dernières pages, que j'ai trouvées un tant soit peu bizarres...


4e de couverture : "Dans l’Afrique du Sud contemporaine, Arif, professeur de médecine, est tué chez lui d’un coup de revolver. Sa mort plonge Nafisa, sa femme, et Shakeer, son fils, dans un monde d’énigmes et de non-dits, de trafics d’organes et d’argent, de conflits politiques, scientifiques et raciaux, sur fond du drame lancinant du sida. Mère et fils, aussi liés qu’étrangers l’un à l’autre, sont amenés à remettre en cause leurs convictions et leur mode de vie, à clarifier leurs relations avec leurs proches, dont ils découvrent qu’ils savent si peu.
Cette tragédie intime et familiale est aussi un tableau de la ville de Durban et de sa communauté indienne musulmane, et, au-delà, une réflexion sur la difficulté à tourner une page, à prendre un nouveau départ, dans un monde où différentes communautés coexistent sans communiquer entre elles."


- "Les nouvelles étaient préoccupantes. Ils avaient entendu parler d'une polarisation raciale à Howard College et dans la faculté de médecine. L'administration et le gros des étudiants étaient composés d'Africains noirs, tandis qu'un bon nombre d'enseignants étaient des Indiens qui n'avaient pas encore été forcés à partir." (p.189)

- "Neuf millions de Zoulous partageaient un même univers. Bien sûr, il existait d'autres univers, bien plus grands - l'univers swahili, l'univers chinois -, et cette idée l'angoissait. Mais cela la rendait perplexe de vivre au milieu de neuf millions d'êtres, de les soigner, de les payer et d'en être payée, d'être enterrée dans un sol qu'ils revendiquaient comme le leur, tout en ne parvenant jamais à comprendre comment ils pouvaient être aussi sûrs de la place qu'ils occupaient au monde, et de celle qui lui revenait, à elle. Et pourtant ils en étaient sûrs, et elle, non." (p.223)

-- Voir aussi mes "Lectures d'Afrique"

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