Roman graphique de Chloé Cruchaudet, Ed. Delcourt /Mirages, 2013, 140 p. Prix du public 2014
L'histoire contée et dessinée par Chloé Cruchaudet s'inspire de faits réels, et la 4e de couverture montre une photo d'époque de Paul Grappe dans ses habits féminins au bois de Boulogne.
Cela étant, Chloé Cruchaudet a fait sienne cette histoire en nous offrant de remarquables planches, si réalistes même si stylisées, et si sincères. Ses dessins sont incroyablement beaux. En noir et blanc, avec des touches de rouge pour marquer un foulard, une robe ou tout accessoire féminin.
Louise et Paul sont deux jeunes amoureux attachants (l'un sent la soupe préparée par sa mère, l'autre sait à peine danser...) qui se marient le jour de l'incorporation de Paul au service militaire.
Et la guerre est déclarée. Paul part au front, où il n'échappe pas aux atrocités de la grande guerre. Les images des tranchées sont cauchemardesques. Réfugiés dans le même trou, Paul voit la tête de son copain tranchée par un éclat d'obus. L'épouvante le rattrape, il se tranche un doigt pour essayer de se faire réformer. En vain. Alors, il déserte, aidé par Louise.
Passée l'exaltation de se savoir toujours vivant, il tourne vite en rond caché dans cette petite chambre et entretenu par sa femme. Ces deux-là commencent à se taper l'un l'autre sur les nerfs. La solution vient par hasard : Paul emprunte une robe à Louise pour aller acheter l'indispensable carburant de son apathie : du vin. Soudain, bien qu'engoncé dans cette robe, un vent de liberté vole sur Paul, il respire l'air de dehors, il se mêle aux passants, il revit !
Alors Louise, pour l'aider à passer inaperçu, "collabore" au stratagème et s'occupe de lui raser les poils, d'ajuster ses habits de dame, de lui apprendre à parler "avec du miel dans la bouche" et à bouger comme s'il était dans l'eau, lentement, avec mesure. Paul devient Suzanne, coupe de cheveux à la garçonne, rouge à lèvres, vernis à ongles et petit porte-monnaie rouge.
Cette mascarade doit cependant durer 10 ans, le temps que la France accorde l'amnistie aux déserteurs.
Au cours de ces 10 ans, Suzanne a fini par prendre le pas sur Paul. Elle s'est émancipée, s'est découvert de nouveaux plaisirs au Bois de Boulogne. C'est le temps des scènes de débauche au bois, où, malgré elle, Louise est aussi entraînée pour rester proche de son Paul/Suzanne.
Aussi, quand l'amnistie est décidée, Paul a du mal à se défaire de son double féminin, Suzanne. Les cauchemars de la guerre reviennent le hanter, il n'est plus maître de ses émotions et de ses gestes.
Il faudra lire l'ouvrage pour découvrir la fin de cette histoire. Et d'emblée, vous n'aurez qu'une seule envie : recommencer depuis le début cette incroyable histoire si bien dessinée.
Le masque est une création originale de mon fils (y'a longtemps !) |
Roman de Pierre Lemaître, Ed. Albin-Michel, 2013, 567 p.
Prix Goncourt 2013
Un an que je l'ai lu. Sans me souvenir de tous les détails, l'histoire est encore bien prégnante, avec des images fortes :
- la tête de cheval aux côtés d'Albert dans le cratère d'obus,
- la gueule cassée d'Edouard et les cigarettes qu'il fume par le nez, ses injections de morphine
- les masques extravagants que revêt Edouard pour dissimuler son visage éclaté,
- la boite aux lettres d'Albert,
- les cimetières, les fosses communes, les cercueils d'1m30 où l'on casse les os pour faire tenir les corps,
- l'hôtel luxueux, à la fin
- les monuments aux morts dans les villes et villages de France...
Un roman coup de poing, effrayant dans ses descriptions de la guerre, des faux héros encensés et des soldats brisés abandonnés à leur sort. Ce roman est la mise en mots du tableau "Les joueurs de skat" d'Otto Dix.
Après l'avoir lu, on pose un regard appuyé sur les monuments aux morts.
En tout cas, il faut l'avoir lu. On ne peut y rester indifférent.
"Pouvait-il lui dire maintenant, sans risque de la perdre : "Pauline, je suis comptable dans une banque dans le seul but de taper dans la caisse parce que, avec un camarade (une gueule cassée irregardable et passablement dingue), nous sommes en train d’arnaquer la moitié de la France de manière totalement immorale, et si tout va bien, dans quinze jours, le 14 juillet, on fout le camp à l’autre bout de la planète, veux-tu venir avec moi" ?
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