dimanche 4 mars 2012

John Fante : "Mon chien Stupide" (EU)


Mon chien Stupide (« West of Rome ») *****
Paru en 1985, 2 ans après la mort de John Fante (1909-1983), ce roman s'inspire de la vie de l'auteur comme tous ses livres. Fils d'immigrés italiens, John Fante revêt donc cette fois-ci l'habit de Henry, écrivain raté, fana de belles voitures... qui mise sur des scénarios de TV et pointe au chômage.., et qui habite en Californie au bord de la mer. Les descriptions du village de bord de mer, de la grande maison, des promenades à la plage font rêver, mais le récit est à contre-courant...
Henry est marié depuis 25 ans à Harriet, parfaite incarnation du milieu WASP alors que lui se sent de plus en plus attiré vers ses racines italiennes et rève de laisser femme et (grands) enfants pour s'envoler seul vers Rome. (d'où le titre original : "West of Rome", qui me fait l'effet de placer l'intrigue plus autour du personnage du narrateur que le titre français).  
Le couple Henry/Harriet Molise semble mal assorti, mais a réussi à tenir "ensemble" autour des 4 enfants. 

L'arrivée du Chien dans la maison agit comme révélateur des dissensions entre les membres de la famille.
Le narrateur s'attache à cet énorme Chien qu'il appelle "Stupide", et qui a l'affreuse manie de se jeter goulûment sur tous les...mâles, hommes ou chiens ! C'est donc un animal énorme doté d'un organe énorme également, et qui se livre à ses envies comme bon lui semble, sans retenue.
Un gros pataud lubrique prénommé Stupide, qui agresse autant qu"il peut le fiancé de la fille, si bien que cette dernière fixe un ultimatum à ses parents : le chien ou elle... le père lui préfère le chien. Et c'est le départ de la fille qui s'en va vivre avec son fiancé dans une caravane.

Les enfants sont en effet devenus de jeunes adultes, et chacun voit midi à sa porte sans trop se soucier des autres. Les fissures du modèle familial éclatent au grand jour peu à peu, chaque enfant après l'autre, et finalement tous les enfants quittent le nid dans des circonstances plus ou moins heureuses, mais au grand désarroi des parents. La mère ne peut accepter que son fils aîné sorte avec une femme noire, et ce racisme la mine totalement. Le fils finit par épouser sa copine noire... qui lui cogne dessus sans façons ! Le petit dernier qui faisait la fierté de ses parents, finit par admettre qu'il sèche l'université et veut travailler dans le social auprès d'enfants handicapés.

Au final, le Chien est un liant entre les différents membres. Et quand il disparaît un jour, toute la famille se lance à sa recherche. Henry le retrouvera par hasard réfugié dans l'enclos à cochon d'un ferrailleur. C'est un moment épique du roman : le chien Stupide est devenu inséparable de la truie Emma, qu'il considère comme sa mère. Il lui lèche le dos dès qu'elle se salit et cet énorme Akita suit partout béatement la petite truie...
On pense alors que le roman connaît malgré tout une fin heureuse : le chien est retrouvé et la mignonne truie sauvée du barbecue... Henry réunit  chien et truie dans le corral de la maison pour faire une surprise "attendrissante" à sa femme. Au contraire, Harriet en voyant ce spectacle perd tout espoir de reconstruire une vie normale avec Henry - elle le quittera certainement comme elle l'en avait menacé. et Henry déchante brutalement lui aussi : "Soudain je me mis à pleurer", tandis que Stupide et Emma sont allongés tranquillement côte à côte.


Sur sa femme et ses enfants, en préambule :
« Elle était pourtant adorable, mon Harriet : 25 ans qu’elle tenait le coup à mes côtés ; elle m’avait donné trois fils et une fille, dont j’aurais joyeusement échangé n’importe lequel, voire les quatre, pour une Porsche neuve, ou même une MG GT 70. »

Premier aperçu du chien :
“Alors je l’ai vu, tas sombre et massif, immobile et hirsute comme un tapis.” (…) Ce chien est un clochard, j’ai répondu. Un individu socialement irresponsable, un fuyard. – « Mais il est malade » - « Il n’est pas malade. Il est trop paresseux pour chercher un abri. »
(…) « Ce chien est très malade, j’ai tranché » - « Malade mon œil, a dit Dominic. Vise un peu c’qui se passe. » L’animal bandait. » (…) « Le chien s’est mis sur ses pattes, a rengainé son pénis et baillé. »

« Pour moi, Stupide était un Akita pure race (…). C’était sans doute un étranger, avec tous les problèmes d’adaptation des étrangers dans un quartier Wasp, méprisé par tous les chiens de souche anglaise et détesté par les races allemandes. Il faisait  bonne figure dans le clan des bâtards, mais essayait de baiser avec tous les mâles sans exception. Il haïssait les femelles (…) »

« Le chemin du cœur est le même pour un chien que pour un homme. Au bout de deux semaines, Stupide a compris qu’il dépendait de moi pour la nourriture ; dès lors, j’ai été son maître. J’avais besoin d’un chien. Il simplifiait le cercle de mon existence. Il était là dans la cour, bien vivant et amical, occupant la place de tous les autres chiens morts et enterrés dans la terre même qu’il foulait. Je pouvais comprendre cela, mes amis chiens vivants, puis morts, réunis sur le même terrain. Tout cela avait du sens. »

« Je sortais parfois avec ma pipe, mon regard allait de Stupide aux étoiles, et je sentais comme un lien. J’aimais ce chien. Quand j’étais dans le Colorado, je restais souvent assis avec mon chien pour regarder les étoiles. Stupide était l’enfance ressuscitée (…). »
« (...) quand j’étais assis dans l’herbe avec Stupide. Parfois, il profitait de ma position pour se lever, poser ses pattes avant sur mes épaules et essayer de me sauter. Il m’aimait donc. Comment aurait-il pu exprimer autrement son amour ? En écrivant un poème, en m’offrant un bouquet de roses ? Je lui assenais un bon coup de coude dans les côtes, qui suffisait à le faire descendre. Rocco aussi m’avait aimé : lui exprimait son amour en mordant mes chaussures ou en déchirant un objet qui m’appartenait, une chemise, une paire de chaussettes ( …). Mais Rocco était un individu normal, il aimait les chiennes, alors que Stupide avait ce problème avec les femelles, qui me le rendait cher.»

Son fils Jamie :
« Tel était Jamie, amoureux des fleurs, des cactus et des arbres, des araignées, étoiles de mer et coquillages en tous genres, vers de terre, chiens, chats, rats, écureuils, chevaux et hommes. Nous ne nous étions jamais beaucoup inquiétés pour Jamie. Il n’exigeait jamais rien. (…) Il avait de bonnes notes. (…) Qui aurait remarqué un garçon pareil ? (…) alors sans crier gare est arrivé le démenti cinglant : notre Jamie n’était pas aussi impeccable et immaculé que nous le pensions. »

La mort de son précédent chien Rocco :
Henry se promène sur la plage avec Rocco : un attroupement s’est formé autour d’une baleine échouée, toujours vivante, respirant péniblement et battant de la queue.
(Rocco) « voulait attaquer la baleine. Son absolu manque de peur m’a amusé. Quel mal pouvait donc faire un chien de 30 kilos à une baleine de 100 tonnes ? ca m’amusait énormément. Je l’ai lâché. Il l’a chargée au moment où la dernière vague refluait. D’un bond, crocs en avant, il s’est rué sur le ventre de la baleine. Il y est resté accroché, les dents plantées dans la chair. Je l’ai entendu grogner. Un murmure de détresse s’est élevé de la foule. (…). La gueule de la baleine s’est ouverte comme si elle cherchait de l’air. Elle semblait beaucoup souffrir. Les algues drapaient ses lèvres bleuâtres. L’hostilité de la foule envers le chien a encore augmenté. (…) la joie du combat brillait dans ses petits yeux. (…) Pour un bull-terrier, une baleine n’est rien d’autre qu’un gros chien. (…). Alors, Bam ! Levant les yeux, j’ai vu un pêcheur à la poupe d’un bateau à moteur, un fusil qui fumait encore à la main. J’ai vu l’eau rougir autour de mon chien. »

Le repas familial où tous les enfants quittent le navire :
« Nous avons  allumé les bougies pour le repas funèbre, le cercueil des lasagnes posé entre nous. »
« Une fois encore, la question la plus fondamentale et la plus insoluble de mon existence a commencé de me hanter. Bon Dieu, que faisais-je sur cette planète ? 55 ans pour en arriver là ? C’était absurde. Combien de temps durait le voyage pour Rome ? 12 heures ? »

L’adoption de la truie :
« Pour moi, il pense qu’Emma est sa mère »
« La truie souriante  ne me quittait jamais de yeux. J’ai compris que nous allions nous entendre parfaitement.(…) Elle était ma mère ressuscitée. Le groin encroûté de terre, elle s’est langoureusement allongée sur le sol tiède. Stupide s’est laissé tomber à coté d’elle pour lui nettoyer la face. Je ne l’avais jamais vu aussi content. Ses blocages avaient apparemment disparu. »

Henry pensait faire une gentille surprise à Harriet non seulement en ramenant le chien à la maison mais en plus accompagné de la mignonne truie : Harriet avait eu des cochons, enfant. Mais quand Harriet a découvert le spectacle de la truie et du chien couchés côte à côte dans les mauvaise herbes du corral, « quelque chose s’est effondré en elle. Je l’ai senti s’écraser au tréfonds de son être. Ses yeux ont quitté le corral pour se poser sur moi. Ils palpitaient de pitié, de confusion, de désespoir. Sans un mot, elle a fait demi-tour (…). »
« Soudain je me suis mis à pleurer » (mot de la fin)

[Mon Chien Stupide, Edition 10/18, traduit pat B. Matthieussent, 185 p.]

Un livre qui, contrairement à ce qui figure au dos de la couverture ("Si vous avez des idées noires, plongez-vous dans Mon chien stupide. Vous en sortirez revigoré") n'est pas le roman "drôle, ironique, tragique, bouleversant"" auquel je m'attendais... Un bon livre, une histoire de déroute familiale totale, de carrière ratée, de rêve brisé, la vie (décortiquée de près) finalement pas si reluisante en Californie au bord du Pacifique, et l'attachement au Chien pourtant monstrueux et libidineux... 
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