Luttant contre les tornades venteuses de ces tunnels la tête repliée dans le cou le nez au sol, mais bien obligée de temps en temps de lever la tête pour ne pas foncer dans les autres voyageurs... plaf je me prends un bain de couleur en pleine figure !
Les murs du "tunnel de tous les vents" sont tapissés des affiches de cerisiers en fleurs annonçant l'expo de Damien Hirst. [NB : c’était en novembre 2021...]
Qui ? J'avoue que je connaissais l'artiste de nom, un artiste contemporain, mais j'aurais bien été incapable de visualiser dans ma petite tête une de ses œuvres.
Il m'a fallu près de 4 mois pour trouver l'occasion de visiter cette expo à la Fondation Cartier.
Ce fut une drôle de découverte, à commencer par l'immense salle du sous-sol où étaient exposées 14 toiles grand format, dont les titres n'étaient indiqués que sur un petit pan de mur à l'entrée : Late Blossom, Mother's Blossom, Queen's Blossom, Wisdom's B, Emperor's B, God's B, Love's B, Colourful's B (!), Imperial B, Fantasia B, Morning B, Truth's B, Celebratory B...
Ayant d'abord pensé que le titre de la toile correspondait à l'époque de la floraison, ou à quelque subtile lien, l'envie d'associer le bon titre à chaque toile m'est vite passée, car d'une part c'était fastidieux de se souvenir du plan des titres, et d'autre part, j'ai rapidement séché sur une interprétation liée à la saison.
Tous les cerisiers étaient en fleurs (ben voyons, vu le titre de l'exposition), les toiles m'ont fait l'effet d'oeuvres de pointillisme géant. Dans cette salle du sous-sol, l'impression de se promener sous une pluie de confettis plus ou moins denses, plus ou moins empâtés. Ici et là, des coulures, provenant de lancers de peinture à la Jackson Pollock.
Les toiles sont très chargées, remplies de tâches roses, rouges, blanches, avec ici et là quelques petites touches de bleu, d'orange, et de vert. Le visiteur a peu de recul, il n'aperçoit pas l'arbre dans son entièreté mais se trouve comme absorbé dans une débauche de fleurs.
C'était plaisant. mais ce ne fut pas vraiment l'effet que j'attendais. Certaines toiles ne m'inspiraient pas de sentiment d'éblouissement, mais plutôt la vision d'une répétition de points géants balancés sur la toile, ici avec une dominante de rose pâle, là un peu plus de rose soutenu, ici un peu de ciel bleu, là davantage de feuilles vertes (les feuilles sont peintes au tampon) : ce devaient donc être les repères de l’évolution de la floraison des cerisiers. Damien Hirst a volontairement souhaité que les titres ne soient pas indiqués sous les toiles pour amener le visiteur à s'immerger pleinement dans les cerisiers en fleurs.
God's Blossom / Winter's Blossom |
En particulier nous sous sommes extasiées devant (sauf erreur) le Winter's Blossom, qui nous a semblé représenter un personnage ondulant sous les lianes...
Au rez-de-chaussée, les toiles sont plus "travaillées", toutes laissent apparaître des entrelacs de branches, un bout de tronc, des coins de ciel...
Deux toiles (Fragility Blossom et Wondeful World Blossom) m'ont rappelé "L'amandier en fleurs" de Van Gogh.
C'est vrai que j'ai été plus sensible à la poésie de ces toiles du rez-de-chaussée. On se prend à s'imaginer allongé sous le cerisier d'un parc japonais, la tête non pas dans les étoiles mais dans les ramures chargées de fleurs. Pas de bruit si ce n'est le doux bruissement des feuilles. Parfois un pétale vient chatouiller le visage. On rêve. On se perd dans cette explosion de couleurs et de fleurs.
Sakura Life Blossom Wonderful World Blossom / Détail d'un cerisier Greater Love Has No-One Than This Blossom / Precious Moment Blossom |
J'avais pensé que Damien Hirst avait accompli une petite retraite au Japon pour trouver l'inspiration et peindre ses 130 toiles de cerisiers en fleurs. Mais il semble que non et qu'il ait choisi de faire du "second degré", en peignant d'après des reproductions. Cela a quelque peu fait retomber mon enthousiasme, mais bon, c'est une forme d'art comme une autre. Mais j'avoue, après coup, avoir plus de peine à m'imaginer somnoler sous un cerisier chargé de fleurs quelque part dans un jardin de Kyoto...
"Regarde les fleurs de cerisier !
Leur couleur et leur parfum
tombent avec elles,
disparaissent à jamais,
mais inconscient
le printemps revient." (Ikkyû, XVe s.)