Edition française : Métaillé, Trad. R. Solis & E. Zayas, 672 p.
Réf. géogr : Cuba / Mexique / Russie / France etc.
Comment décrire ce roman ? Un roman magistral, minutieux et passionnant qui nous plonge dans les pages rouges de l'histoire du XXe siècle.
En premier lieu, c'est fort bien écrit (et fort bien traduit !), ce qui est appréciable compte tenu de l'épaisseur de l'ouvrage. Et le roman révèle un travail de documentation titanesque, l'auteur ayant pioché aussi dans les archives déclassifiées pour relater les dessous terrifiants de l'histoire stalinienne.
Ensuite, je m'y suis personnellement attaquée car je poursuis mon cheminement sur les traces de Frida Kahlo, et tout livre abordant l'intimité de Trotsky croise à un moment donné l'intense artiste mexicaine. Ce fut le cas avec le roman "Viva" de Patrick Deville, lu récemment, qui s'articulait autour d'un duo peu probable, Trotsky et... Malcolm Lowry.
"L'homme qui aimait les chiens" trace les portraits ou plutôt déroule les vies, jusqu'à leur mort, de trois hommes : Léon Trotsky, son futur assassin le catalan Ramon Mercader, et un cubain meurtri par la vie, Ivan, ancien écrivain et pseudo vétérinaire, qui recueille certaines confessions de Ramon Mercader durant son exil à Cuba. Ce sont du reste là trois hommes qui partagent un amour pour les chiens, et qui au final mèneront une vie bien solitaire chacun "à sa façon" ou selon son histoire.
En parlant d'exil, le livre de Padura rend brillamment compte de l'exil sans fin auquel est condamné Trotsky, envoyé par Staline au fin fond du Kazakhstan, en Sibérie, puis chassé d'URSS, arrivant en Turquie, à nouveau sur la route en quête d'un asile, il transite par la Norvège, la France pour arriver à se poser au Mexique.
Le récit de cet exil permanent est époustouflant, et l'auteur a le don de se mettre dans la peau du banni de la planète (le "juif errant") pour exposer ses moindres pensées, ses craintes pour son entourage, ses espoirs de sauver la révolution russe, son combat acharné pour défendre ses théories, fonder une IVe internationale et braver les dérives de Staline alors en pleines purges. Jour après jour, mois après mois, Trotsky voit tomber ses anciens camarades, les membres de sa famille, les quelques amis qui lui étaient restés fidèles. C'est un homme incroyablement seul et traqué à mort.
Le récit de cet exil permanent est époustouflant, et l'auteur a le don de se mettre dans la peau du banni de la planète (le "juif errant") pour exposer ses moindres pensées, ses craintes pour son entourage, ses espoirs de sauver la révolution russe, son combat acharné pour défendre ses théories, fonder une IVe internationale et braver les dérives de Staline alors en pleines purges. Jour après jour, mois après mois, Trotsky voit tomber ses anciens camarades, les membres de sa famille, les quelques amis qui lui étaient restés fidèles. C'est un homme incroyablement seul et traqué à mort.
"Le petit vapeur partit à neuf heures du matin. Coiffés de chapeaux, ils occupèrent la proue de l'embarcation pour jouir du paysage qu'offraient les deux moitiés d'Istanbul. Le regard de lev Davidovich essaierait cependant de voir au-delà des édifices, des églises pointues, des mosquées arrondies, il s'efforcerait de se retrouver lui-même dans cette ville où il n'avait aucun ami, aucun sympathisant fiable. Mais ce fut en vain. Il sentit que son exil commençait à cet instant précis : un véritable exil, sans limites, sans rien à quoi à se raccrocher. A part la famille et quelques rares amis qui avaient réaffirmé leur solidarité, c'était un homme incroyablement seul. (...) A chaque fois qu'il évoquerait ce matin d'apparence si paisible, Lev Davidovich se rappellerait qu'il avait éprouvé le besoin urgent de presser la main de Natalia Sedova pour sentir près de lui une chaleur humaine, pour ne pas étouffer d'inquiétude, harcelé par cette sensation d'égarement. Mais il se souviendrait aussi qu'à ce moment, il avait réaffirmé sa décision : même seul, son devoir était la lutte." (p.63)
L'on suit Ramon Mercader façonné au fil des ans en différents personnages pour finir sous l'identité d'un belge (Jacques Mornard), en voyage d'affaires au Mexique, où par des machinations incroyables et prenant à coeur sa mission jusqu'à entretenir une liaison avec une américaine membre du comité de soutien à Trotsky, fadasse et laide qui l'insupporte nuit et jour. C'est par elle qu'il s'introduira subrepticement dans l'entourage de Trotsky alors réfugié dans sa maison fortifiée à Coyoacan, après sa rupture avec le couple Diego Rivera et Frida Kahlo. Quels sont les quelques moments de détente de Trotsky alors isolé de tous, seul avec sa femme Natalia et son petit-fils, et les gardes ? S'occuper de ses poules et lapins et collectionner les cactus... comme le dépeint si bien L. Padura.
La Habana vieja |
Le point culminant du récit, l'assassinat de Trotsky, est raconté de façon terrible. Coups de piolet dans la tête, cervelle qui écume alors qu'il est toujours vivant, le cri abominable qu'il a poussé et qui aura au moins le mérite de hanter toute sa vie son meurtrier. Trotsky mettra deux jours à agoniser. 21 août 1940.
Leonardo Padura a vraiment donné corps à ces deux personnages, Trotsky et Mercader : c'en est glaçant.
En revanche, j'ai éprouvé un ressenti plus mitigé sur le troisième personnage, Ivan, qui au hasard d'une promenade sur la plage, croisera en 1977 le meurtrier en exil, Ramon Mercader.
Ce dernier, qui se fait vieux et souffre d'une étrange maladie le rongeant à petits feux, ne semble plus vivre que pour côtoyer ses deux lévriers barzoï. Un personnage devenu finalement pathétique, au point d'oser quelques confidences auprès du pauvre Ivan.
Je dis pauvre Ivan, car vraiment sa vie est jalonnée de malheurs, mais Leonardo Padura ne trouve-t-il pas au travers de la vie de ce malheureux le moyen de dénoncer les méfaits du socialisme à la cubaine ? Censure, pénuries, dénonciations, répression des homosexuels, pauvreté, la toile de fond cubaine du roman est sordide.
On ressort de cette lecture abasourdi : tant de haines, de manipulations, de trahisons ; les dessous de l'histoire sont terribles... Abasourdi donc mais aussi ébloui par la puissance narrative de cet ovni de la littérature. A quand une adaptation cinématographique ?
Ce dernier, qui se fait vieux et souffre d'une étrange maladie le rongeant à petits feux, ne semble plus vivre que pour côtoyer ses deux lévriers barzoï. Un personnage devenu finalement pathétique, au point d'oser quelques confidences auprès du pauvre Ivan.
Je dis pauvre Ivan, car vraiment sa vie est jalonnée de malheurs, mais Leonardo Padura ne trouve-t-il pas au travers de la vie de ce malheureux le moyen de dénoncer les méfaits du socialisme à la cubaine ? Censure, pénuries, dénonciations, répression des homosexuels, pauvreté, la toile de fond cubaine du roman est sordide.
On ressort de cette lecture abasourdi : tant de haines, de manipulations, de trahisons ; les dessous de l'histoire sont terribles... Abasourdi donc mais aussi ébloui par la puissance narrative de cet ovni de la littérature. A quand une adaptation cinématographique ?
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