Réf. géogr : France (auteur) / Mongolie & Russie
"Engoncée dans sa parka polaire, l'inspecteur Oyun essayait de comprendre l'empilement des choses."
Suite du 1er tome, "Yeruldelgger", qui fut mon gros coup de coeur du printemps !
Pas déçue par ce tome 2, mais sans le frisson de nouveauté qu'avait apporté le 1er opus.
L'intrigue nous bringueballe des steppes mongoles aux villes fantômes russes, comme Krasnokamensk où fut emprisonné Mikhaïl Khodorkovski, en passant par Le Havre en France. J'ai trouvé cette multiplicité de lieux un tantinet compliquée. Mais je pardonne, car Yeruldelgger est là, ce vieux flic attaché aux traditions et à l'âme mongole en proie aux nouveaux riches, aux politiciens véreux et aux militaires sans scrupules. Face aux villes russes contaminées par la pollution à l'uranium et aux métaux lourds, il se sent impuissant :
"Yeruldelgger regardait avec horreur ce que sa Mongolie pouvait devenir. Dans les forêts dépecées, il voyait ses steppes lardées de mines à ciel ouvert. Dans les quartiers d’isbas de mauvais bois où se résignait un sous-prolétariat désœuvré, il reconnaissait ceux de yourtes à Oulan-Bator où se desséchaient les vieilles grands-mères pendant que les vieux nomades s’imbibaient de vodka chinoise de contrebande. Et les mêmes immeubles à la soviétique qui se délitaient entre des routes précaires et des rues défoncées. Il sentit son âme enfler d’un terrible découragement." (p.209)
Yeruldelgger est là, souvent seul, plus invincible et déterminé que jamais. "Les temps sauvages" font un peu valser le travail en équipe du commissariat et chacun y va de son bout d'enquête, jusqu'à ce que le maillage se resserre autour d'une même affaire.
Certes, les personnages clés du premier tome sont toujours présents, Oyun, Solongo, Gantulga principalement, mais on ne les voit quasi jamais réunis. Une seule nuit dans la yourte avec Solongo si mon compte est bon :
"Solongo s'en voulait d'avoir trop cuisiné. Yeruldelgger hésitait entre le rave fermenté au saumure et la queue de mouton en bouillon doré, gras et chaud à s'en brûler les lèvres. Les aigres boulettes de fromage séché, les crêpes au gras d'agneau ou le yaourt tiède. Ou encore la chèvre bouillie." (p.67)
Certains passages sont empreints de poésie, et je rends hommage à Ian Manook pour avoir conté l'épisode de la chevauchée dans la steppe enneigée de Yeruldelgger et d'Agop, et du yack Grandgousier, qui pour moi restera un des personnages forts de ce roman ! Oui, le vieux yack blanc !
"Il avait couru vers Grandgousier en pensant le chevaucher pour s’enfuir, mais ils l’auraient repéré. Il avait préféré se terrer entre le rocher et le yack, et le tirer pour qu’il se couche de côté contre lui. La bête l’avait presqu’écrasé contre la roche et il avait cru mourir étouffé, mais la ruse avait fonctionné. Agop était persuadé que l’animal avait compris la situation et qu’il avait joué son rôle de yack sauvage surpris en plein sommeil hivernal. Dès qu’Agop s’extirpa de sa cachette, le yack se releva à son tour et posa son museau fumant contre le ventre de l’homme. Le professeur enlaça sa grosse tête entre ses bras et posa sa joue dans la fourrure épaisse. Puis s’excusant, expliquant sa fatigue et le choc de l’attaque, il se hissa sur son dos en s’agrippant à son poil long et dru et n’eut rien besoin de dire pour que le yack prenne le chemin du musée de son pas lent et sûr." (p.57)
Yeruldelgger dans ce deuxième tome nous surprend par la rage et la furie qui petit à petit s'emparent de lui. C'est devenu un être violent et impitoyable. Comme Clint Eastwood dans le film éponyme... Il convient de reconnaître que les "méchants" qu'il affronte tuent à tout va et sans faire dans la dentelle.
Étrangement, dans cette histoire, l'auteur amène un nouveau personnage, un policier de la brigade ferroviaire (!) français d'origine arménienne, ancien barbouze, Zarza, qui partage pas mal de traits de caractère avec Yeruldelgger. Et je me demande si les prochains romans ne se recentreront pas sur ce policier très spécial.
Allez, une dernière remarque de Yeruldelgger contre l'architecture granquignolesque et insipide qui dénaturent les anciens satellites de l'URSS :
"Ou plutôt, il n'aimait pas ce qu'on avait fait de son architecture audacieuse. Vers l'extérieur, comme un défi au pays et au monde entier, la couronne de béton était sculptée de reproductions monumentales des décorations de l'armée russe. A l'intérieur, une fresque retraçait quelques morceaux soigneusement choisis de l'amitié russo-mongole. La défaite de l'occupant chinois par les soldats du peuple russe en 1921. La défaite de l'occupant japonais par les soldats du peuple russe en 1929. Les figures légendaires de l'héroïsme soviétique : l'infirmière, le cosmonaute, le métallurgiste. (…) Yeruldelgger haïssait ce monument plus soviétique que russe, toute sa symbolique guerrière et sa virile espérance, promesse de jours heureux, et plus que tout le géant de béton casqué et botté brandissant face à la ville qui n’était pas la sienne, un étendard dont la démesure et la prétention en faisaient une voile rigide de béton gris. La représentation d’une amitié russo-mongole qui n’était que russe, sans steppes, sans montagnes, sans troupeaux, sans yourtes." (p.195-196)
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