Antonio Skarmeta est né au Chili en 1940. Partisan de Salvador Allende, il fut contraint de s'exiler en 1973 (avec Raoul Ruiz) après le coup d'Etat militaire de Pinochet.
C'est une nouvelle qu'on n'oublie pas, écrite avec des mots simples, réalistes, sur la prise de conscience politique d'un petit garçon qui joue au foot, qui entend l'inquiétude de ses parents et des autres adultes, qui ne comprend peut-être pas bien la situation mais qui en mesure la gravité des enjeux. Vous vous souviendrez de la dernière phrase : "Il va falloir acheter un jeu d'échecs, on sait jamais."
Un jour que Pedro joue au foot dans la rue avec son copain Daniel, le fils de l'épicier, des soldats arrivent et embarquent brutalement le père de Daniel. Pedro demande à Daniel pourquoi son père a été arrêté :
"- Mon papa il est de gauche, dit-il.- Et ça veut dire quoi ?- Qu'il est antifasciste.Pedro avait déjà entendu ce mot le soir quand son père était près de la radio, mais il ne savait pas encore ce que ça voulait dire, et surtout il avait du mal à le prononcer. Le « f » et le « s » s'embrouillaient sur sa langue et ça faisait un bruit plein d'air et de salive quand il le disait.- Ça veut dire quoi anti-fasciste ? demanda-t-il.Son ami regarda la rue vide à présent et lui dit comme un secret- C'est quand on veut que le pays soit libre. Que Pinochet s'en aille.- Et c'est pour ça qu'on les met en prison ?- Je crois."Pedro se rend compte que ses parents sont rivés le soir aux nouvelles de la radio, qu'il leur arrive même de pleurer.
Un jour à l'école, un homme couvert de médailles militaires vient dans la classe demander aux enfants d'écrire une rédaction, et le gagnant recevra un beau prix. Le sujet de la rédaction : "Ma maison et ma famille", càd ce que font les enfants et les parents après l'école et le travail, les amis qui viennent, de quoi on parle ensemble...
Quelle terrible manipulation d'enfants...
Le petit Pedro réfléchit un peu, et se lance dans sa rédaction. Vous devez absolument lire ce petit texte pour découvrir la fin. NB : le texte en français est en ligne sur le site de l'Académie d'Aix-Marseille.
Le cycliste de San Cristobal (El ciclista de San Cristobal) ***** 1980
Six nouvelles regroupées en 3 parties, l'une de ces nouvelles est la fameuse rédaction, voir ci-dessus. Les deux dernières nouvelles qui traitent de l'exil d'un jeune homme à Paris ("Noces"), et à New York ("Au milieu des sables"), m'ont un peu moins touchée.
- "Du poisson" (les vieux) : J'ai bien aimé la nouvelle consacrée à la vieillesse, aux grands-parents d'un jeune garçon n'ayant plus toute leur tête et en lutte avec leur belle-fille qui règne à présent (et avec bonne volonté pourtant) sur la maisonnée. Mais les vieux ont du ressentiment, de la fierté, et la mémé décide d'empiler leurs possessions d'un autre âge sur le fauteuil roulant du pépé, et de partir loin, pour habiter en ville. Le garçonnet les accompagne un bout de chemin sous un soleil infernal jusqu'à ce que la mémé s'arrête acheter un énorme poisson (un congre...). Et comme si tout rentrait dans l'ordre de façon naturelle, l'équipée sauvage (fauteuil roulant encombré d'ustensiles, pépé ahuri, mémé contente de son beau poisson, gamin qui tient le poisson) s'en rentre à la maison donner le poisson à cuire à la mère. et celle-ci de s'exclamer gaiement sur ce beau repas en perspective.
- "Le coup de téléphone" : Une nouvelle où sourd le climat d'angoisse sous la dictature. un professeur âgé est interpellé devant le lycée et questionné par deux jeunes soldats. Il a beau dire qu'il a déjà été arrêté il y a un mois et relâché... les deux soldats s'amusent à le retenir et à le voir transpirer et prendre peur. Finalement, ils l'abandonnent-là, et lui va se réfugier dans un café, il doit passer un coup de téléphone... Son instinct heureusement lui conseillera de ne pas passer ce coup de fil. il est toujours surveillé.
- "Le cycliste de San Cristobal" : Un très joli récit, plein d'énergie et poignant à la fois. Un jeune garçon doit participer à une compétition cycliste alors que sa maman est au plus mal, veillée par le papa. Le garçon manque de renoncer à la course, anxieux pour la santé de sa mère. Il n'a pas le coeur du tout à faire les derniers entrainements, et ne dort pas de la nuit.
"Alors je me suis empli le visage de cette main-là, j'ai giflé la sueur et fait voler la trouille ; ris, imbécile, je me suis dit, ris, moitié d'homme, éclate de rire ;... que je gagne cette course... que je pourrais... Contre mon père, contre mes copains du lycée et mes profs... contre mes propres os, contre ma mort et celle de ma mère, contre le président de la République, contre la Russie et les Etats-Unis, contre les abeilles, les poissons, les oiseaux, le pollen des fleurs... contre la galaxie..." Sauve qui peut de la folie du monde, de la tristesse de l'exil, de l'ennui de la famille. "Le guidon s'est envolé comme une tête d'oiseau, aigu contre le ciel, et les rayons des roues ont brisé le soleil en mille morceaux et les ont jetés aux quatre vents..."
(Ed. Points/Virgule, Trad. Laure Bataillon)
T'es pas mort (No paso nada) ***** 1980
Un joli roman sur l'exil et l'intégration dans un nouveau pays.
Lucas a 14 ans quand sa famille fuit la dictature chilienne et s'installe à Paris. Première difficulté : apprendre le français. Deuxième écueil : trouver un peu de soleil pour se réchauffer dans ce pays froid, mais là ça va à peu près : Lucas est le meilleur "preneur de soleil du monde". Autre difficulté : manger correctement. D'ailleurs, comment se fait-il que la France dite pays de la gastronomie ne connaisse pas quelque chose d'aussi délicieux que les enchiladas ? Et puis il faut s'habituer à vivre dans un petit appartement froid, avec les parents sans travail et toujours inquiets.
Et l'école : on l'a vite baptisé "le Chilien"... Heureusement, Lucas va s'adapter assez rapidement, il est jeune comme les jeunes, écoute la musique à la mode, a une copine... et deux super copains, Homère et Socrate, qui rentreront en Grèce à la fin de la dictature grecque. Ah s'il avait des sous, il les rejoindrait !
Parallèlement, nous suivons les efforts du père de Lucas pour apprendre le français, sans grands résultats. Et les parents puisent leur énergie dans la petite communauté exilée, à coller des affiches et manifester contre la dictature qui accable leur pays, le pays où ils rêvent de retourner rapidement. Pendant ce temps, leurs deux garçons s'adaptent, Lucas rencontre Edith...
La deuxième partie de ce petit roman se concentre sur une bêtise de Lucas, qui s'est battu et a envoyé un garçon à l'hôpital... Le frangin du blessé, "un grand", n'aura de cesse de venger son frère et de ficher une trouille telle à Lucas, que celui-ci ne vit plus que dans la peur. Jusqu'au règlement de comptes entre les deux garçons, match nul, respect, début d'une amitié.
(Ed. Points/Virgule, Trad. Laure Bataillon, 90 p.)
Nota Bene : Sur le site web de l'auteur, le roman "No paso nada" ("T'es pas mort") est présenté comme se déroulant en Allemagne et non en France. Antonio Skarmeta en effet a longtemps vécu en Allemagne, où il fut ambassadeur du Chili à Berlin de 2000 à 2003.
Découvrir des textes d'Antonio Skarmeta, notamment sur le Berlin qui l'a accueilli au moment de l'exil : http://www.clubcultura.com/clubliteratura/clubescritores/skarmeta/obra_textos04.htm
Retrouvez la page Lectures d'Amérique latine sur ce blog
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