(2014, Ed. Seuil, 617 p.,)
Radieux, comme rayon, comme radiations...
Eh oui, comme l'indique la 4e de couverture : "Des siècles après la fin de l’Homme rouge, dans une Sibérie rendue inhabitable par les accidents nucléaires, des morts-vivants, des princesses et des corbeaux s’obstinent à poursuivre le rêve soviétique."
Un livre surprenant, et bienvenu. Le début m'a de suite plu, pour les descriptions de plantes et graminées qui m'ont d'ailleurs fait penser au fabuleux et dérangeant "Roman" de l'écrivain russe Vladimir Sorokine.
"Ciel. Silence. Herbes qui ondulent. Bruit des herbes. Bruit de froissement des herbes. Murmure de la mauvegarde, de la chougda, de la marche sept-lieues, de l’épernielle, de la vieille-captive, de la saquebrille, de la lucemingotte, de la vite-saignée, de la sainte-valiyane, de la valiyane bec-de-lièvre, de la sottefraise, de l’iglitsa. Crissements de l’odilie-des-foins, de la grande-odilie, de la chauvegrille ou calvegrillette. Sifflement monotone de la caracolaire-des-ruines." (p. 22)
Ensuite, j'ai connu un temps d'hésitation, la lecture se compliquant, les personnages s'entremêlant et se dispersant dans la foulée, et l'espace temps étant totalement farfelu (les siècles passent en un quart de seconde !). Je me suis même posé la question de continuer ou d'arrêter... Mais finalement le livre est prenant, et j'appréciais beaucoup l'écriture d'Antoine Volodine, les descriptions grandioses de cette étendue sibérienne irradiée. J'en suis donc venue à bout avec un grand plaisir de lecture.
«Au-dessus de la steppe le ciel étincelait. Une voûte uniformément et magnifiquement grise. Nuages, air tiède et herbes témoignaient du fait que les humains ici-bas n’avaient aucune place, et, malgré tout, ils donnaient envie de s’emplir les poumons et de chanter des hymnes à la nature, à sa force communicative et à sa beauté.»L'auteur décrit lui-même son écriture ou son genre littéraire comme "post-exotique".
Cette lecture m'a fait penser au film "La terre outragée" sur la catastrophe de Tchernobyl. Dans le roman "Terminus radieux", ce sont quasiment toutes les centrales nucléaires qui les unes après les autres explosent et irradient toutes les régions. Les gens meurent, les animaux, la flore disparaissent aussi, ou bien mutent dans de nouvelles espèces. C'est ainsi que les personnages du livre sont comme des zombies, des êtres entre la vie et la mort, plus tout-à-fait vivants mais pas tout-à-fait morts non plus. Et certains sont même devenus éternels, comme le père Solovieï président du kolkhoze et la mémé Oudgoul. Ces deux-là forment une sacrée paire.
"Comme tous les matins depuis quelques milliers de saisons, la Mémé Oudgoul tourna le bouton du poste de radio posé à côté de son fauteuil. Elle voulait savoir si la civilisation avait été rétablie pendant la nuit, ou du moins si l’humanité avait survécu à la dégénérescence organique, aux cancers provoqués par l’irradiation généralisée, à la stérilité et à la tentation de s’engager dans la voie capitaliste." (p.580)Solovieï incarne le nouveau dictateur qui s'infiltre même dans les rêves et le corps des survivants, de ses "sujets", y compris de ses trois filles. Maître de ce "nouveau monde", il se heurte cependant à Kronauer, ancien soldat réfugié débarqué au kolkhoze, qui constitue finalement le personnage principal de ce roman... Kronauer que l'on suit jusqu'à la dernière page.
En parallèle de la"vie" qui se déroule au kolkhoze Terminus radieux, nous suivons la progression laborieuse d'un train fantôme transportant soldats et prisonniers sur une unique voie ferrée, à la recherche d'un camp fermé où ils auront le sentiment de retrouver leur liberté et la sécurité.
"Cette recherche ferroviaire d’un havre concentrationnaire durait déjà depuis des mois, pour ne pas dire un temps bardique incalculable". (p.228)
Cette histoire de train m'a encore ramenée à l'univers de Vladimir Sorokine, cette fois dans son roman "La tourmente", qui emprunte une autre voie pour décrire un univers apocalyptique, et les scènes du train à la fin font froid sans le dos !
"Terminus radieux" d'Antoine Volodine est un grand roman, qui mérite à juste titre le prix Médicis 2014.
--> Lectures "Europe de l'Est, Russie, Ukraine"...
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