Ce livre, je l'ai bien aimé. Je l'ai lu en une soirée (181 p). Mais... quelques petites réserves !
L'écriture de K. Davrichewy est fluide, belle, emballante... Je voulais d'abord lire son roman précédent, "La mer noire" pour des raisons d'intérêt géographique, mais il était emprunté donc je me suis rabattue sur "Les séparées".
Etant de la même génération que l'auteur et que les deux femmes du roman, Alice et Cécile, j'ai tourné les pages en parfaite osmose avec les commentaires sur l'époque, la musique (Joe Dassin, la mort de Cloclo, Julien Clerc, Simon & Garfunkel, Bee Gees...), les événements (l'écran de TV dévoilant le visage de F. Mitterrand le 10 mai 81, Noah à Roland-Garros, Mandela président), les modes de vie (Le bébête show, les Enfants du rock...)... Et j'ai apprécié de revivre en lecture toutes ces années 70 et 80.
La trame : le récit à deux voix de deux femmes, qui ont grandi ensemble depuis l'enfance en étant inséparables, ont choisi des métiers proches, se sont mariées avec deux copains... etc. etc.... Jusqu'au 3e chapitre du livre où patatras, on assiste à un déjeuner commun d'Alice et Cécile, qui est redoutable de coups de pique, de flèches (tu as des cheveux blancs !), un condensé de méchanceté et d'aigreur le temps d'un déjeuner à la sauvette : j'avoue que ce passage m'a désarçonnée, et ne m'a pas franchement plu (trop "préfabriqué" ?).
En tout cas, le lecteur est mis devant le fait accompli : les deux femmes ne se fréquentent plus et semblent se détester. Comment en sont-elles arrivées là alors que les petites filles ont grandi en développant une amitié exclusive et fusionnelle ?
Le roman va nous le faire découvrir en alternant 30 ans plus tard les récits d'Alice, assise seule à la terrasse d'un café alors que son mari vient d'emménager ailleurs, et de Cécile, plongée dans un semi-coma à la suite d'un accident.
Elles ont désormais la cinquantaine, et chacune au fil des chapitres se souvient de leur histoire commune, nous livre cette histoire depuis son for intérieur, et l'on s'aperçoit que les interprétations ou sentiments de ces deux gamines inséparables, sous des dessous de totale complicité, comportent des fêlures, et ces petites fêlures finiront par créer de vraies fissures dans leur amitié.
Tout cela est extrêmement bien mis en mots par Kéthévane Davrichewy, et c'est un plaisir de lire son écriture.
Toutefois, concernant l'histoire de ces deux femmes, j'ai quelques réserves. Peut-être en raison de la construction du roman... de petites réserves qui m'empêchent de considérer "Les séparées" comme un chef d'oeuvre ou roman remarquable (au même titre que "Les Déferlantes", "La conversation amoureuse", "Naissance d'un pont" qui m'ont vraiment marquée...): "Les séparées" sera juste un bon roman, qui ne devrait cependant pas me laisser un souvenir impérissable.
Tout d'abord, le mystère qu'entretient l'auteur sur la personne de Philippe au début du roman, est gros comme une ficelle... Tout de suite, le lecteur se focalise sur ce Philippe tandis que l'auteur joue à essayer de ne pas dévoiler qui il est le plus longtemps possible : cela n'est plus vraisemblable et respire l'exercice de construction littéraire.
Ensuite, j'ai trouvé "surjoué" l'épisode de la fâcherie entre Cécile et Alice, fâcherie qui serait née du manque d'attentions et de commisération de Cécile au moment de la maladie et du décès du père d'Alice.
Toujours à travers le regard de l'une puis de l'autre au fil des chapitres, nous assistons au déroulement de leur enfance commune, leur adolescence, leur vie adulte et plane le mystère lié à la place dans leurs vies de Philippe, le demi-frère de Cécile, l'amoureux d'Alice, sa descente dans les enfers de la drogue, le sida et son suicide. Philippe a-t-il représenté le principal facteur de distanciation des deux femmes ? On pourrait le croire.
Mais la remarque de Cécile dans ce fameux 3e chapitre en tout début de roman, pendant le déjeuner grinçant, selon laquelle Alice colporterait des rumeurs sur la nature de la relation entre Cécile et Philippe, tombe comme un cheveu sur la soupe : les deux femmes ne se parlent plus depuis 5 ans, Philippe est mort, Alice "vit sa vie"... Bref, une remarque que je trouve maladroite dans la construction du récit. Un faux prétexte un peu grossier.
De part et d'autre du roman, au fil des souvenirs des deux femmes, des révélations sont faites. Mais un peu maladroitement encore : l'inceste qu'a vécu Cécile... mais qui semble la laisser indifférente : qu'a voulu l'auteur en apportant cette information sans vraiment la développer ?
Ce sont là des détails mais qui se remarquent d'autant plus facilement que le livre est court. Et peut-être l'ai-je justement lu trop vite ?
En conclusion, un roman joliment écrit et qui se lit facilement, qui ravivera les souvenirs des années 70 et 80 aux lecteurs nostalgiques, mais qui comporte quelques "trous noirs" dans l'histoire. Bon, pas facile de donner un avis sur un livre encensé par tous !
Ed. Sabine Wespieser, 2012, 181 p.
Voir aussi : Kéthévane Davrichewy / "Nom d'un chien"
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