***** Réf géogr : France - Genre : Suite version au placard de... Absolument dé-bor-dée ou le paradoxe du fonctionnaire (Albin Michel, 2012, 295 p.)
Le retour de Zoé, alias Aurélie Boullet dans la vraie vie, après son année de congé sabbatique.
Un regret liminaire : que le livre n'aborde pas du tout cette année passée au Sénégal dans le cadre d'une mission humanitaire. Raison probable à cela : l'auteur n'aborde jamais sa vie personnelle dans ses deux romans, consacrant toute sa verve à décrire sa vie professionnelle. Lire Zoé Shepard, ce n'est pas tout-à-fait embarquer à bord du journal de Bridget Jones ! mais certaines situations valent leur pesant de rigolade ou de consternation face à ces révélations de ce qu'il y a derrière le miroir de nos élus.
Nous retrouvons les personnages croisés dans Absolument dé-bor-dée. J'y ajoute ceux qui m'avaient échappé dans ma 1ere chronique : Communicator, Géant Vert, et le nouveau Directeur des relations internationales : The Gentleman (le pauvre, il va vite en revenir...).
Notre Zoé relate dans ce second opus sa "placardisation (Pla.kaʁ.di.za.sjɔ͂) : n.f. du lat. placibilitas : clémence et arduus : difficile - Résultat de la crise d'autoritarisme d'un chefaillon frustré consistant à mettre à l'écart tout salarié qui n'exécute pas béatement ses ordres imbéciles." (NB : Chère Zoé, imagines-tu le temps que j'ai passé à trouver les caractères spéciaux pour la transcription phonétique Pla.kaʁ.di.za.sjɔ͂ ... mais c'est pour la bonne cause).
En filigrane d'une narration au second degré jamais à court de cocasseries ou de bons mots, pointent les stigmates du harcèlement moral que va subir Zoé, peu à peu dépossédée de ses dossiers, rendue inutile, moquée, et placardisée.
Les dossiers sur lesquels Zoé a encore le droit de collaborer sont les plus ennuyeux, ou ceux bourrés de tracasseries, ceux dont personne ne veut.
Ainsi, la soudaine lubie (tellement fashion !) de Fred l'élu en charge du protocole qui décide de transformer une vieille annexe... en maison "SECS" (solidaire, écologique, citoyenne et sociale), vitrine internationale du développement durable de la municipalité. Peu importe le budget, les normes, l'intérêt aux yeux des habitants de la ville, la priorité... seule compte l'esbroufe.
Autre dossier : la préparation de la visite d'une délégation d'élus de la collectivité et de chefs d'entreprise - tous frais payés par le contribuable bien sûr - pour participer aux Assises de la coopération décentralisée et du développement durable à Nairobi. Là, nous avons droit à des moments grandioses : inculture consternante des élus, gabegie des deniers publics, tourisme avec safari inclus aux frais de la princesse, interventions bidons lors des colloques, beuveries post-conférences. Hélas, il y a tellement de vrai dans ce que narre Zoé.
Certains passages m'ont laissée plus dubitative face à autant d'incompétence : Coconne la secrétaire qui porte bien son (sur)nom a jeté dans la poubelle des papiers recyclables la chemise comportant la trentaine de passeports de la délégation... Et la petite équipe de fouiller les poubelles au sous-sol pour retrouver les documents...
La délégation française : totalement inculte quant au continent africain, ce qui ne laisse pas de stupéfier notre pauvre Ambassadeur.
C'est toujours écrit avec humour et second degré, mais la recette de ce 2e opus a moins bien pris que le 1er récit. L'effet de nouveauté s'était estompé.
Pourtant, le récit de la mise au placard de Zoé est prégnant.
Mais il n'a pas la force du récit, sur le même triste thème, percutant et désarmant des Heures souterraines de Delphine de Vigan.
En effet, ces deux écrivaines brossent le portrait de deux femmes confrontées à une situation de harcèlement moral au travail, progressivement placardisées, vivant l'angoisse dès le petit matin de se demander à quoi bon se lever et se rendre au travail si c'est pour ne plus gérer de dossiers à la mesure de leurs compétences, de voir ses dossiers récupérer par un(e) intrigant(e) qui prend la main sur tout et s'éclate sans vergogne, se sentir soudain devenue totalement incompétente et inutile, useless.
Se forcer à se rendre au travail même si on n'a plus de responsabilités, pourquoi ? parce que sinon c'est la faute que cherche à tout prix le manager pour vous jeter. Le pain bénit. Alors y aller la mort dans l'âme, oui.
Se demander, une fois parvenue à son poste de travail, que faire qui ne finisse pas en matière à reproche, en boomerang de faute au dossier.
Essayer tout simplement de rester la tête hors de l'eau pendant que la hiérarchie vous l'enfonce : dur, intenable, invivable.
Zoé est forte, elle s'accroche et l'on ne peut que la soutenir dans son cauchemar.
NB : je dédie cette p'tite chronique à mes ami(e)s de l'IEP Paris, en nos vertes années incluant l'abominable AP juste après après le bac, les deux infernales années suivantes, l'épreuve du diplôme, la prep-ENA...
Pas une partie de plaisir, mais avec le recul quelle dévotion aux révisions, et à la cause du Service Public...
Alors coucou les Valérie(s) D. et L., Gwénaëlle, Dominique L. et tou(te)s les autres compagnons de souffrance et éclate. Quelle capacité de résistance au stress nous avions... On l'a bien mérité ce sacré diplôme ! Cher Daniel B. tout là-haut, je pense souvent à toi.
Et tant que j'y suis : coucou à l'un de mes jeunes maîtres de conf' d'alors, fascinant et si proche de ses élèves, the one and only Guillaume Pépy ! Ah qu'il a su faire grandir la flamme du SP en nous.
Morceaux choisis :
- "Notre DRH ne réalise sans doute pas qu'après 8 années d'études passées à rêver de servir l'intérêt général, se retrouver dans un no work's land ponctué de réunions stériles et à rendre des notes jamais lues est tout simplement invivable. Et que quitter temporairement la mairie était la dernière étape avant le pétage en plombs en règle." (p.10)
- Au sujet de la grande mode des nouveaux managers de transformer l'appellation des services :
"Après la brillante transformation de l'AIE (Affaires internationales et européennes) en DIE (Direction internationale et européenne), Simplet n'en est pas resté là : tous les services sont passés à la moulinette et la note qu'il me tend m'apprend donc que les affaires européennes ont été rebaptisées Pôle Union européenne et que les Affaires internationales s'appelleront désormais Pôle international service. PUE et PIS. Même dans mes rêves les plus démoniaques, je n'aurais jamais envisagé ça. Si ces nouvelles appellations ne changent en rien ce qui est fait dans les services - pas grand chose -, elles ne laissent aucun doute sur le degré de mégalomanie de leur directeur. L'occupation favorite de Simplet - s'écouter expliquer que la modernisation d'un service passe par son changement de nom (...)". (p.19)
- "- C'est ça, soupire la nouvelle recrue qui se tourne vers moi et, apercevant le "Canard enchaîné" étalé sur mon clavier d'ordinateur demande : Vous êtes occupée ?
- Je prends du recul par rapport à mon travail." (p.35)
- "Les jours où je veux vraiment voir la vie du bon côté, je me dis que placer deux agents pour un unique poste permet de réduire le chômage. Le reste du temps voir un tel gâchis des deniers publics me navre." (p.53)
- "- Ce qui fédère le mieux un groupe, c'est un ennemi commun. (...)- Je ne peux pas critiquer Nicolas Baudet, c'est mon supérieur hiérarchique.- Qui vous parle de critiquer Simplet ? Non, ici, l'ennemi commun c'est la photocopieuse. - Un peu restreint comme sujet de conversation, non ?- Pas nécessairement, elle fait aussi scanner, trieuse, impression couleurs et la plupart du temps rien ne marche. croyez-moi, critiquer la photocopieuse est le meilleur moyen de vous intégrer. Et déverser toute votre diatribe devant la machine à café vous fera gagner des points supplémentaires." (p.78)
- Zoé : "- Monsieur Baudet, je souhaiterais vous parler du dossier Chine qui, de toute évidence, m'a été retiré sans que...- Ça suffit, me coupe Alix [NDLR : Alix est une pétasse jalouse et moins diplômée, qui a mis Zoé sur la touche et se charge de récupérer ses dossiers les plus intéressants]. Tu te permets d'arriver en retard, donc tu ne vas pas en plus nous harceler avec tes problèmes existentiels ! conclut-elle avant d'entraîner Simplet vers son bureau." (p.115)
- "Se sentir mal au travail n'est pas l'apanage des catégories C ni des salariés en burn-out. Trimer comme un âne pour décrocher un concours puis arriver dans un no work's land et se faire mettre plus bas que terre toute la journée par une bande de nullités ravies d'exercer leur pouvoir démolit tout autant. (...) Mon bilan de la semaine est comparable à celui de la VIE en Chine: nul. J'ai vaguement synthétisé un rapport parlementaire afin que ma semaine comporte quelques activités reliées à ma fiche de poste et suis occupée à arracher des dalles de moquette lorsque The Gentleman débarque dans mon antre, surexcité (...)." (p.145)
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